Prix Contrechamp de la sélection 2020 du Festival d’animation d’Annecy, My Favorite War est un film empli d’émotions qui nous vient tout droit de Lettonie. Fait surprenant, c’était également un métrage letton qui avait remporté la Palme de la sélection Contrechamp en 2019 (Ailleurs de Gints Zilbalodis dont nous vous reparlerons très prochainement puisque nous avons pu nous entretenir avec son créateur). Sorte d’autobiographie filmique, dont l’animation semble friande, ce nouveau projet européen mêle destinée individuelle et parcours collectif au beau milieu d’une guerre froide dévastatrice pour les peuples affiliés au pouvoir totalitaire de l’URSS. L’occasion rêvée de partager notre avis avec vous tout en l’agrémentant d’extraits d’un entretien chaleureusement mené avec Ilze Burkovska Jacobsen en ces premiers jours d’été.
Résumé : Voici l’histoire personnelle du réalisateur, Ilze, qui a grandi en Lettonie (URSS) au cours de la Guerre froide. Elle retrace le passage à l’âge adulte d’un individu qui décide d’échapper au conditionnement exercé par un régime autoritaire et puissant. Le film, pacifiste, souligne à quel point il est important que la liberté individuelle soit considérée comme un droit fondamental dans une société démocratique.
« Au début, l’objectif n’était pas de focaliser le film sur ma vie » affirme sa créatrice avant d’ajouter que ce choix était pourtant nécessaire car « le personnel est politique ». Intimement liée à l’Histoire torturée de son pays, la jeunesse d’Ilze Burkovska Jacobsen incarne un émouvant témoignage de la guerre froide en Lettonie à l’écran. Enlisés dans un contexte angoissant qui entretenait en permanence la peur de l’Amérique, les habitants de l’Europe de l’Est devaient composer avec des régimes autoritaires. La narratrice, à sa petite échelle, est poursuivie par un fantôme squelettique, séquelle invisible d’une Seconde Guerre mondiale tragique, utilisée à des fins politiques par le gouvernement en place pour mener la population par le bout du nez.
De surprises en surprises, les personnages aux côtés de la narratrice découvrent les véritables intentions des politiciens tout en décelant les traces du passé, à l’image des cimetières nazis ensevelis sous les appartements ou le bac à sable d’un jardin d’enfants. Quête de vérité portée par une narratrice rêvant de devenir journaliste, My Favorite War (ironiquement, le jeune personnage féminin affirme que la Seconde Guerre mondiale est sa préférée) est un appel à la cohésion collective extirpée des manipulations gouvernementales restreignant le développement pourtant essentiel de l’esprit critique. Vivre ensemble, oui, mais vivre librement ! Auréolé d’une animation un brin sommaire en papiers découpés, qui relègue les personnages à des déplacements plutôt mécaniques (cela pouvant aller de pair avec l’attitude collective requise par l’effort de guerre maintenant la population dans une attente effrayante), l’aspect documentaire du film est étoffé par des images d’archives et des prises de vues réelles. Jamais cantonner au récit de vie individuel, le long-métrage métabolise pleinement l’idéologie critiquée par le film : l’histoire de chaque habitant letton doit s’inscrire dans l’Histoire collective du pays après la Seconde Guerre mondiale. Mais en réalisant ce film, la réalisatrice parvient à s’émanciper avec brio en affirmant ce qui la constitue en tant qu’être unique.
Aujourd’hui grandie par ce chemin de croix cathartique, la réalisatrice du film nous affirme alors, au cours de notre entretien, qu’elle préfère célébrer l’arrivée de l’été en solitaire (rappelons que les fêtes de ce type sont traditionnellement inscrites dans les pratiques lettones), chez elle, pour s’éloigner du battage collaboratif initié par le film et du parcours que l’on imagine éprouvant pour créer le film. Pour mieux retrouver son équipe par la suite ? « Je veux faire un nouveau film pour enfants. Ce sera à propos d’une petite fille pleine de bravoure qui voyage dans l’univers pour trouver une nouvelle planète sur laquelle vivre. Contrainte à cela car son ancienne planète a été détruite par l’appât du gain de ses habitants. » annonce-t-elle avec enthousiasme pour présenter une fable écologique que l’on a déjà hâte de découvrir !
Fruit d’un travail de longue haleine (neuf ans de gestation selon les dires de la réalisatrice) pour donner vie aux angoisses existentielles de la scénariste, My Favorite War a largement mérité sa consécration annécienne. Malgré un apparat quelque peu simpliste, le film émeut beaucoup et dévoile plus intimement le vécu d’une population conditionnée. Mieux qu’un livre d’Histoire parce qu’il use des ressorts émotifs pour convaincre, le long-métrage d’Ilze Burkovska Jacobsen est un témoignage poignant d’un quotidien trop méconnu.