Comme tous les ans, le festival d’animation d’Annecy fait le grand écart entre les films sélectionnés pour toucher du doigt la diversité incroyable du cinéma à l’honneur. Passer de Jungle Beat à The Nose or the Conspiracy of Mavericksrelève de la gymnastique spectatorielle. Destiné à un public d’initiés, le long-métrage russe d’Andrey Khrzhanovsky est une expérimentation visuelle, narrative et musicale qui établit des ponts entre une nouvelle surréaliste de Nicolas Gogol, l’opéra adaptant la nouvelle et le régime totalitaire de Staline. Découpé en « 3 rêves », le film est une expérience à part entière qui relie XIXème, XXème et XXIème siècle.
Résumé : Pendant la première moitié du XXe siècle, Staline fit régner la terreur en Russie. Le film décrit cela en combinant des paysages, des biographies et des chefs-d’oeuvre de peintres, de compositeurs et d’écrivains russes qui faisaient figure, durant cette période de totalitarisme, d’artistes d’avant-garde.
Après une scène d’introduction fort mystérieuse et contemporaine (les passagers d’un avion regardent des films classiques du cinéma russe sur de minuscules écrans), le film dévoile sa structure surprenante, fait d’allers-retours entre la diégèse et la conception du film. Point d’univers diégétique cohérent dans cette production russe mais plutôt un univers porté par la musique de Dmitri Chostakovitch ayant initié l’adaptation scénique de la nouvelle de Gogol en 1928. Opéra filmé, de la scène jusqu’aux coulisses (il n’est pas rare d’observer les artistes au travail sur le film, déplaçant notamment les papiers découpés faisant office de personnages), The Nose or the Conspiracy of Mavericks est une histoire qui se déploie en une multitude de graphismes et de références ancrées dans l’Histoire de la cinématographie sociale russe. Ivan le terrible ou Le cuirassé Potemkine (deux films de Sergueï Eisenstein) peuplent le long-métrage donnant l’impression d’assister, parfois, à une mise en abyme de l’acte créatif. D’ailleurs, la célèbre scène du berceau est réinventée, le véhicule étant, cette fois-ci, celui du nez émancipé au cœur du récit. De là à y voir une métaphore du peuple dans l’ascension du nez dans la sphère sociale, il n’y a qu’un pas.
Difficile à appréhender parce qu’il ne cesse de briser sa cohérence diégétique et narrative, le long-métrage est structuré par des ruptures de ton qui déstabilisent. Un documentaire satirique sur le régime stalinien, un film animé adaptant le surréalisme gogolien, une rétrospective des mouvements artistiques russes : autant de caractérisations qui pourraient rendre compte du film d’Andrey Khrzhanovsky sans en effleurer la véritable essence. Satire politique véhémente, la narration s’attaque aux incohérences du communisme stalinien tout en ébréchant le pouvoir actuellement en place (l’extrait d’une interview au sujet de la Crimée intervient au cours du film). Drôle, le film l’est aussi lorsqu’il offre un long morceau d’opéra au chef Staline pour justifier son ingérence dans les arts. Peu surprenant alors que le film se referme sur des photographies de prisonniers politiques comme pour rappeler que la fable découverte est malheureusement ancrée dans un réalisme terrible.
Au final, The Nose or the Conspiracy of Mavericks risque de faire du bruit au festival d’animation d’Annecy parce qu’il est plein d’audace et qu’il ne cède jamais aux facilités graphiques ou narratives. Risquant parfois de perdre ses spectateurs en assumant pleinement son absence de classicisme narratif et visuel, le film est une bizarrerie qui n’est pas tout à fait une adaptation du matériau d’origine ni une simple satire politique. C’est un peu tout ça a la fois pour un résultat très atypique.
Critique rédigée par Nathan