Les espoirs étaient nombreux, dernier film du maître de l’animation japonaise oblige, et les premiers avis dithyrambiques étaient encourageants. Le vent se lève (Il faut tenter de vivre) nous annonce le titre du film ainsi que les personnages principaux lors des premières séquences, selon un vers poétique de Paul Valéry, mais à la découverte du film, le génie d’Hayao Miyazaki établit un portrait bien morne de la vie, aussi éprouvant à vivre qu’excitant à regarder.
Premier constat : le dernier long-métrage du fondateur des studios Ghibli est extrêmement différent de ses précédentes productions. Plus adulte (bien que Le Voyage de Chihiro ou Ponyo sur la Falaise puissent s’adresser aux plus grands), plus réaliste et plus philosophique, Le Vent se lève est déstabilisant. Si l’animation 2D y est une nouvelle fois de toute beauté, et ce ne sont pas les merveilleux plans récurrents de brises légères ou de bourrasques violentes rencontrant les personnages qui nous contrediront, le scénario emprunte des chemins obscurs et semble s’éloigner des intentions habituelles du réalisateur ovationné.
Suivant le destin d’un jeune ingénieur en aéronautique et ses aspirations technologiques, le film de Miyazaki se construit autour d’un récit aussi difficile à suivre (car soumis à des faits historiques) que peu intéressant à découvrir à cause d’un personnage principal troublant. Il est en effet étonnant que le personnage principal soit aussi absent sur le plan émotionnel, alors même qu’il s’agit pour le spectateur de se prendre de passion pour sa fougue créative, passion qui ne se transmet malheureusement jamais. Le début du film intrigue et émeut (la scène du tremblement de terre de 1923 est magnifiquement retranscrite) mais rapidement, le monolithe sentimental qui sert de personnage principal s’engage dans une quête de la réussite artistique lénifiante. Hayao Miyazaki propose ainsi de suivre le parcours d’un homme à l’origine de milliers de morts, qui ne se rend pourtant jamais compte de l’arme de destruction massive qu’il est en train de créer, malgré les nombreux rêves évocateurs qu’il peut faire. Heureusement, la patte onirique qui a fait le succès du réalisateur se retrouve, au détour de séquences rêvées resplendissantes (bien qu’un peu répétitives), qui participent paradoxalement aux faiblesses du film puisque le personnage principal semble vivre dans son imaginaire plus que dans la réalité, décalant une nouvelle fois le film de son propos historique terrifiant.
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Loin de nous l’idée de faire de la controverse entourant le film (raconter la fabrication d’une arme de guerre inventée par le personnage principal du film) le problème général de cette nouvelle production, puisqu’au contraire, la fable du film (l’histoire racontée) est elle-même fautive. L’aventure aérienne de Jiro occupe plus de deux heures de pellicule et celles-ci se font trop ressentir, la faute à des séquences qui s’étirent à n’en plus finir dans des discours peu réfléchis sur l’acte créatif et la vie face à la maladie.
Si il est dit qu’il faut « tenter de vivre », les personnages, eux, forment un condensé de pessimisme troublant, à l’exception de l’amante de Jiro, rayon de soleil présent sur l’affiche, qui éloigne le spectre de la mort le temps de quelques séquences subtiles. En effet, si la première heure assomme littéralement le spectateur, celle qui suit redore le blason de ce tout nouveau film japonais grâce à l’arrivée du dit personnage féminin touchant et attachant, malgré son manque d’originalité par rapport aux anciennes productions Ghibli. Personnage si attachant qu’il ne cessera d’accentuer la noirceur ambiante du film, contrastant totalement avec la large palette colorée composant l’image du film, puisqu’elle assistera à la déconsidération de son amant au sujet de sa maladie mortelle qu’elle porte en elle. Ce second personnage principal permet au film de s’ouvrir vers des approches plus intéressantes et plus universelles, loin de l’identification proposée par Miyazaki avec Jiro, créatif devenu bourreau inconsciemment. De même, l’extraordinaire bande-originale de Joe Hisaishi sert au mieux la deuxième partie du film : on pense notamment à ce qui restera comme la plus belle séquence du long-métrage, celle de l’avion en papier permettant de tisser un lien entre l’amour naissant des deux amants et la passion de l’aviation de Jiro, au cœur d’un hôtel typique, seul havre de paix du film.
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En conclusion, Le Vent se lève est une œuvre déstabilisante de part ses partis-pris inattendus sur le plan scénaristique puisque du côté formel, le talent de Miyazaki resplendit ici pour la dernière fois (affirmation mesurée puisque les studios continueront d’employer son univers graphique). Là ou son fils Goro parvenait à traduire une réalité charmante et difficile dans La Colline aux coquelicots, il doit lui-même affronter la dureté de son message en construction, à cause du personnage principal le plus faible de l’ensemble de sa filmographie.
Là ou ses précédentes productions prônaient l’optimisme et l’espoir, Le Vent se lève privilégie un pessimisme glacial, métaphore probable des questionnements du réalisateur au bout de sa carrière, qui habite ses spectateurs bien après la séance. Au revoir Sir Miyazaki, nous aurions tant aimé vous voir partir avec un chef d’oeuvre incontestable, nous nous contenterons d’un magnifique écrin graphique relatant le destin morne d’un être tentant d’allier amour et passion, jusqu’à en oublier de vivre.
2 comments On [Critique cinéma] Le vent se lève.
Je retrouve tout ce qui me déplait chez Miyazaki. L’absence de la mère, divorcée, malade, morte…L’héroisme des petits garçons. La soumission de la femme. Des personnages caricaturales. Des rapports adultes – enfants douteux.. Un certain militarisme. Le train qui traverse le paysage. Une animation hétérogène. Cette-fois-ci aussi des figures qui ne se prêtent pas aux très gros plans.
Je te répond car je trouve la plupart de tes reproches infondés:
-L’absence de la mère, divorcée, malade, morte: Miyazaki a perdu sa mère étant jeune. On peut comprendre que ce thème soit plus ou moins présent dans sa filmographie.
-L’héroïsme des petits garçons: …et petites filles. C’est vrai, on aime ou on n’aime pas.
-Soumission de la femme: la plupart des héros de ses films sont des femmes, et certains portent même le nom de ces héroïnes. Aucune femme n’est soumise dans la filmographie de Miyazaki.
-Des personnages caricaturales (caricaturaux): Il peuvent paraitre caricaturaux au premier abord, mais si l’on s’intérresse de près au sous-texte qu’ils dégagent, on se rend rapidement compte qu’ils sont beaucoup plus subtils que cela.
-Des rapports adultes – enfants douteux: Primo, c’est le seul de ses films ou l’on retrouve cela. Segundo, il ne l’épouse pas alors qu’elle est mineure… mais c’est vrai que ça m’a un peu dérangé aussi.
-Un certain militarisme: Miyazaki est un pacifiste engagé, et cela se ressent dans presque tous ses films.
-Le train qui traverse le paysage: et?
-Une animation hétérogène: Les films de Ghibli pratiquement entièrement réalisés de façon traditionnelle (càd sur papier). De fait ils dégagent une maitrise et un cachet incroyable.