Après notre review de l’adaptation de l’oeuvre d’un auteur en particulier avec le pessimiste Tatsumi, nous nous attaquons aujourd’hui à l’adaptation d’une bande-dessinée, Aloïs Nebel. Fort d’une animation resplendissante usant de la fameuse technique de la rotoscopie et d’un scénario morcelé qui peu à peu se reconstruit pour mieux étinceler, ce premier long-métrage d’animation de Tomas Lunak est une réussite, à la limite de l’excellence.
Film au scénario certes alambiqué mais qui se dévoile complètement lors d’une séquence finale pleine de fougue et d’humanité, Aloïs Nebel n’est pas facilement abordable mais mérite que l’on s’y attarde tant il fait preuve d’une maîtrise indéniable. Tour à tour hypnotisant grâce à une esthétique graphique remarquable (le jeu entre le noir et le blanc est ravissant d’intensité) mais aussi émouvant parce qu’il brosse le portrait d’un homme ordinaire plongé dans le brouillard qu’il porte au sein même de son nom (nebel signifiant brouillard en allemand). Traînant le spectateur une heure trente durant au coeur d’un quotidien tourmenté par les souvenirs brumeux du passé, le long-métrage intrigue, passionne mais surtout, surprend. Loin des codes largement dévolus au cinéma d’animation populaire du cinéma d’aujourd’hui, Aloïs Nebel use de la rotoscopie, à priori très proche d’un tournage en images réelles puisque son réalisateur en vient, pour mieux construire un univers mystérieux. Au ruisseau déchaîné séparant Nebel de son âme soeur fait écho la grisaille malheureuse de l’oubli du passé contre laquelle le protagoniste principal lutte jusqu’à en devenir fou, le temps d’un instant.
Nous ne pourrions pas brosser un portrait de ce film atypique sans aborder l’incroyable bande originale le servant à chaque instant, l’ancrant à chaque fois un peu plus dans l’inéluctable oubli dévastateur d’un passé ravageur. Tour à tour énigmatique ou entraînante, la bande originale est à l’image d’un film aux échos variés et entremêlés. Aux horreurs de la Seconde Guerre Mondiale restituées dans la symbolique attendue du chemin de fer se joignent la renaissance d’un être par l’amour qu’il porte à la simplicité même.
Aloïs Nebel est en ce sens une vraie surprise puisqu’il ne se cantonne pas seulement au message alourdissant du travail de mémoire que chacun peut avoir à faire mais bel et bien parce qu’il ouvre des portes lumineuses à ses personnages pourtant désemparés en créant des sous-intrigues essentielles à la reconstitution de l’être perdu en axe narratif principal. Toutefois, le long-métrage accuse parfois quelques baisses de régime amorcées par l’abondance de personnages qui se trouvent être liés seulement dans le dernier quart d’heure. Vraie force à l’arrivée, ce manque de précision entre les personnages peut être à l’origine d’une forte incompréhension au sujet de l’intrigue, déconnectant inéluctablement le spectateur de toute tension. Très éloigné du cinéma purement hollywoodien ou tout est question de dynamisme, Aloïs Nebel est véritablement un film qui se construit sur la durée pour parvenir avec brio à devenir réussite.
Image
Aloïs Nebel peut se targuer de posséder une esthétique extrêmement sobre mais ô combien efficace qui magnifie à chaque instant l’état d’âme de son personnage principal. En proposant une copie haute-définition remarquablement précise et fluide, ARP Sélection offre l’écrin nécessaire à un film de cette envergure graphique. Alternant les noirs profonds et les blancs angoissants, l’image du bluray-disc d’Aloïs Nebel est à la limite de la perfection si l’on oublie les quelques flottements des scènes brumeuses mais l’intention n’en est-elle pas renforcée en fin de compte ?
Son
Ce long-métrage d’animation tire également sa force de son traitement sonore, étonnamment sobre et positif, mené d’une main (ou devrais-je dire oreille) de maître par le compositeur Ondrej Jezek. Grâce à une retranscription millimétrée en HD Master Audio 5.1, l’éditeur vidéo ARP Sélection privilégie chaque bruitage, chaque vacillement des êtres qui composent cette quête du souvenir avec brio ! Sans aucun doute, ce Bluray-Disc est la meilleure façon d’apprécier ce film atypique et déstabilisant, d’autant plus qu’il n’y a aucune version française du film, vous obligeant heureusement à le découvrir en version originale (sous-titrée, bien évidemment) !
Interactivité
Légère déception du côté des bonus puisque l’on ne retrouve qu’un court making-of d’une vingtaine de minutes non pas dénué d’intérêt puisqu’il se fait s’entrecroiser les témoignages des différents acteurs du film dont le réalisateur mais qui aurait mérité d’être accompagné de featurettes plus recentrées sur le travail technique autour du film. Toutefois, ne boudons pas notre plaisir d’assister à quelques scènes tournées avec les acteurs montrées en parallèle de leur adaptation grâce à la rotoscopie. Vous trouverez également la courte bande-annonce du film, comme à l’accoutumée.
En conclusion, Aloïs Nebel est un film remarquable qui n’est pas forcément accessible à tous les publics puisqu’il demande un réel intérêt pour parvenir enfin à en cerner ses enjeux lors de la reconstitution du puzzle qu’il constitue en fin de métrage. Doté d’une esthétique enivrante et d’une bande originale passionnante, toutes deux magnifiées par une édition HD presque parfaite, il s’agit d’une réelle surprise pouvant à elle seule justifiée l’apport de l’animation dans le paysage cinématographique.
