Après un Buzz l’éclair profondément anecdotique (y compris dans son twist à l’idée intéressante mais à l’exécution fébrile), les studios Pixar reviennent à leurs premiers amours avec un concept dont ils ont le secret. Au coeur d’un univers où les éléments naturels vivent plus ou moins en harmonie (les citadins rougeoyants étant relégués à la périphérie) dans une métropole agitée, une jeune flamme doit se préparer à prendre la relève de son père à la barre d’une échoppe familiale. L’occasion rêvée pour les studios de renouer avec l’émotion qui caractérise tant leurs histoires tout en glissant des sous-textes passionnants observant notre propre réalité, comme les fabulistes de l’âge classique. Elémentaire est l’espoir d’un nouveau souffle pour les studios californiens, un souffle forgé dans le moule des succès passés. Histoire d’amour au pluriel (amical, sentimental et familial), le second long-métrage de Peter Sohn est aussi imparfait qu’essentiel.
Résumé : Dans la ville d’Element City, le feu, l’eau, la terre et l’air vivent dans la plus parfaite harmonie. C’est ici que résident Flam, une jeune femme intrépide et vive d’esprit, au caractère bien trempé, et Flack, un garçon sentimental et amusant, plutôt suiveur dans l’âme. L’amitié qu’ils se portent remet en question les croyances de Flam sur le monde dans lequel ils vivent…
Au beau milieu d’un brouillard maritime, un couple de flammes émerge, en quête d’une nouvelle vie. D’emblée, le thème de l’immigration est incarné par des protagonistes auxquels nous nous attachons rapidement. Ces êtres cinématographiques mettent en lumière les sacrifices induits par un changement d’espace géographique lorsqu’ils découvrent la vie agitée d’une ville mêlant les éléments. Le couple s’installe alors en périphérie et participe à l’évolution d’un quartier en devenir, à la marge de l’effervescence d’une ville intolérante. La fable est évidente et les parallèles avec nos propres sociétés abondent au gré d’une histoire touchante. Flam, jeune progéniture du couple, doit faire face au racisme quotidien de sa belle-famille potentielle (lors d’un dîner où le malaise s’installe par le biais d’un humour déplacé), tout en s’évertuant à sauver le commerce de son père. Rencontrant, par un coup du sort, celui qui diffère tellement d’elle, de son apparence aquatique à son émotivité exacerbée, elle s’engage dans une enquête essentielle au bien-être de sa communauté et de sa famille.
Mais on comprend alors rapidement que l’intrigue des canalisations déviées n’est qu’un prétexte pour étudier l’une des plus grandes qualités du projet : la relation qu’il tisse entre deux êtres que tout oppose. Sans jamais être une banale histoire d’amour, Elémentaire réinvente l’ancestrale histoire d’amour impossible sans jamais se départir d’un propos social inscrit dans les sillons de notre réalité : Flam et Flack apprennent à aimer leurs différences mais peuvent-ils véritablement s’aimer sur le plan physique et social ? Peter Sohn s’inspire de sa propre vie pour bâtir une histoire des plus touchantes, magnifiée par une partition électro-orientale de Thomas Newman que l’on retrouve avec plaisir. Après tout, les Newman (Thomas et son cousin Randy) sont les compositeurs les plus en phase avec la mise en scène poétique des studios à la lampe de bureau.
Elémentaire incarne tout ce que les fans de la première heure pouvaient apprécier chez les studios Pixar. L’association d’idées astucieuses (comment les éléments cohabitent-ils ?) à l’émotion dans un océan de graphismes envoûtants magnifiés par une bande originale inspirée. Le chemin romantique emprunté par les amants élémentaires n’a rien d’original mais le sous-texte sur l’immigration légitime pleinement cette fable de Peter Sohn. Comme pour Le voyage d’Arlo (son précédent projet), l’émotion prend parfois le pas sur la cohérence (et le dynamisme) scénaristique mais qu’importe ? Un véritable attendrissement s’empare du spectateur, non seulement parce qu’il assiste à la naissance d’une passion, mais aussi parce qu’il comprend l’héritage déployé à l’écran. Dans une mise en scène faite de petits instants poétiques, il s’inscrit dans la droite lignée des films d’Andrew Stanton ou de Peter Docter.
Une poésie faite de petits riens et de grands sentiments qui met de côté l’histoire de la ville pour s’approcher au plus près des émotions vives de ses personnages épris de vie (et de liberté d’être soi ?) Ici, des valses enamourées rappellent aux deux protagonistes qu’ils ne peuvent s’enlacer. Là, un couple de longue date qui se redécouvre par le prisme de leur descendance. Plus loin, un plan final succinct évoque un champ des possibles attrayant. Sans son histoire de canalisations déviées en fil rouge, Elémentaire aurait pu se hisser au niveau des plus grands films des studios Pixar mais on est constamment touchés par les bribes de potentiel qui pavent cette histoire d’amour au coeur gros.
Histoire d’amourS au pluriel, Elémentaire m’a terriblement ému dans les liens qu’il établit entre les membres d’une famille, faite d’inévitables séparations mais d’importants soutiens. Pour leur vingt-septième long-métrage, les studios Pixar nous touchent avec une poésie qui leur appartient. Une seule question se pose désormais, et fait écho au dénouement du film (attention, spoilers !), comme Flam à l’issue de son parcours initiatique, oseront-ils désormais s’aventurer vers des terres inconnues pour se réinventer ?