Les romances animées et les réalisateurs japonais, toute une histoire. Arborant un titre très surprenant aux interprétations multiples (cannibalisme?), le premier long-métrage de Shin’ichirô Ushijma est une curiosité nippone dont seule ce pays a le secret. L’ombre du cinéma de Makoto Shinkai n’est jamais loin dans cette histoire d’amour naissante aux accents tragiques et il est vrai qu’il est parfois difficile de déceler le véritable style de ce nouveau réalisateur sur le marché asiatique. Retour sur une semi-déception, à réserver aux amateurs de romance cousues de fil blanc.
Synopsis : Sakura est une lycéenne populaire et pleine de vie. Tout l’opposé d’un de ses camarades solitaires qui, tombant par mégarde sur son journal intime, découvre qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre… Unis par ce secret, ils se rapprochent et s’apprivoisent. Sakura lui fait alors une proposition : vivre ensemble toute une vie en accéléré, le temps d’un printemps.
D’entrée de jeu, le film nous annonce que l’issue de l’intrigue sera fatale pour Sakura (à travers un flash-forward explicite) et que le pancréas dont il est question dans le titre n’a rien à voir avec une forme de cannibalisme mais plutôt à voir du côté d’une métaphore amoureuse. D’ailleurs, les métaphores, le métrage n’en manque pas mais les utilise avec une telle évidence qu’il est difficile de les apprécier. Au premier rang de ces figures d’affiliation l’on retrouve l’importance des cerisiers en fleurs (ces fameux arbres roses caractéristiques du Japon) rapprochés de l’héroïne qui porte le nom de ces arbres en question (Sakura étant leur surnom). De la même manière, les personnages se retrouvent fréquemment dans des restaurants et/ou cafés qui rappellent sans subtilités la nourriture au cœur du propos filmique : en mangeant l’organe d’un autre humain, l’on pourrait restaurer notre propre organe malade (ici, le pancréas). Cette information, traitée dans la séquence pré-générique annonce une originalité qui n’arrivera finalement jamais au coeur d’un scénario trop prévisible pour convaincre.
De fait, l’aspect convenu du film se ressent dès le générique, énième montage rythmé par un titre pop-rock agrémenté de paroles sur l’écran (dans la pure tradition nippone du karaoké), qui relègue le film à tout un pan de cinéma japonais duquel le réalisateur ne s’émancipera jamais vraiment. Pourtant, ce n’est pas faute de proposer des pistes intéressantes au cours du métrage, à l’image des réflexions existentielles des personnages principaux qui s’adonnent à l’art de la conversation aussi fréquemment que possible. Ainsi, Sakura se questionne sur ce qu’est « vivre » tandis qu’elle s’apprête à perdre ce privilège naturel, alors que son compagnon de route s’interroge sur la perspective de s’ouvrir aux autres. C’est peut-être ici que se trouve la force du film de Shin’ichirô Ushijma : dans l’art d’ouvrir les coeurs d’êtres torturés par la vie.
Malheureusement, ces traumas intérieurs sont trop souvent délaissés au profit d’une romance mignonne, pour ne pas dire mièvre. Les différentes parties d’Action ou Vérité qui émaillent le scénario amenuisent la portée symbolique du film, tout comme les séquences de montage censées relater l’amour naissant et évolutif de deux adolescents attirés. Avec des gros sabots, l’intrigue amoncelle des séquences attendues jusqu’au dénouement trop étiré. Pourtant, les détours originaux étaient possibles, à l’image de la mort surprenante de Sakura qui n’a rien à voir avec celle que l’on pouvait attendre. On se dit alors que le long-métrage s’apprête à emprunter un chemin inattendu avant de constater qu’il n’en sera rien. Parfois, à trop inférer des suites possibles, l’on se gâche probablement l’appréciation d’un film. On pense également au rapprochement physique des deux personnages, qui attise l’intérêt du spectateur lassé par des aventures répétitives. En vain.
Fort heureusement, le long-métrage a aussi au rang de ses réussites des thématiques fortes qui sont abordées avec la pudeur caractéristique de la société japonaise : maladie, solitude et autres rapports sociaux y sont maîtres. Les couleurs pastels flattent la rétine et s’adaptent parfaitement au récit quelque peu aseptisé qui nous est conté. Exempt d’originalité, à l’exception d’une séquence rendant hommage à l’imaginaire de Saint-Exupéry, l’animation a le mérite d’être soignée. Les décors sont détaillés et les personnages travaillés. Le travail est visible même si l’on ne peut que regretter l’habituel halo de lumière qui sature l’écran. Peut-être est-ce là le problème majeur du film : son trop-plein. Trop larmoyant, trop mièvre et trop épuré.
En somme, Je veux manger ton pancréas est un film graphiquement soigné qui n’en demeure pas moins trop convenu pour toucher : où serait-ce mon regard occidental qui parle ici ? L’intrigue, assez répétitive, laisse place à l’émotion forcée dans un dernier quart larmoyant et prévisible au lieu d’emprunter une voie plus originale. Espérons que Shin’ichirô Ushijma parviendra à forger son propre style, au fil de ses futurs films…
Critique rédigée par Nathan.