Neuf ans après la sortie de son court-métrage Junk Head 1 sur Youtube et après huit longues années de gestation, Takahide Hori déploie enfin son imaginaire en délivrant une adaptation en long-métrage de son univers dystopique. Maître de son oeuvre (il a majoritairement travaillé en solitaire pour composer la somme titanesque de 140 000 prises de vue pour donner vie au film), le réalisateur nous offre une étrangeté cinématographique qui oscille intelligemment entre humour et noirceur tout en brassant un sacré lot de références SF. Un phénomène au Japon qui s’apprête enfin à conquérir le cœur du public français !
Résumé : L’humanité a réussi à atteindre une quasi-immortalité. Mais à force de manipulations génétiques, elle a perdu la faculté de procréer, et décline inexorablement. En mission pour percer les secrets de la reproduction, Parton est envoyé dans la ville souterraine, où vivent des clones mutants prêts à se rebeller contre leurs créateurs…
Quand la science-fiction s’allie à la force artisanale du stop-motion, cela fait des miracles. Junk Head, sous couvert d’une quête dystopique, entreprend une plongée (littérale) dans les dérives d’une société qui pourrait un jour être la nôtre. On suit alors la quête fragmentée d’un être humanoïde en recherche de sens dans les profondeurs d’une cité sombre. La mise en scène déstructurée s’adjoint les services d’une caméra vive qui ne se repose jamais sur ses lauriers pour parcourir les dédales que sont ces souterrains grisâtres. Grâce aux innombrables vues subjectives, la caméra n’a pas de limite et épouse les mouvements brusques des personnages qui sont nombreux : petit à petit, Praton (le « héros » du film) pénètre les couches inférieures de la cité souterraine. L’éparpillement filmique va de pair avec les incompréhensions du personnage principal. Pour conter son histoire, Takahide Hori a recours aux flash-backs éclairants. Le spectateur recompose alors le passé des protagonistes importants tout en s’attachant davantage à leurs vies tourmentées. Cette fragmentation est aussi l’occasion rêvée de percer à jour les mystères d’une société malade qui peine à littéralement remonter à la surface.
Bien que les personnages s’expriment dans un langage incompréhensible (par le biais du réalisateur qui assure la majeure partie des voix du film) heureusement auréolé de sous-titres signifiants, ils touchent rapidement le spectateur par leurs chemins de vie ou par leur humour. Sous ses faux airs de fable pessimiste, Junk Head possède des trésors de distanciation comique. Praton n’est-il pas envisagé comme un dieu par les habitants du dessous parce qu’il vient d’en haut ? Accompagné par des êtres en combinaisons noires (qui se révèlent être les personnages les plus drôles et les plus touchants du film, notamment dans un dernier quart euphorisant), le protagoniste croise également un bestiaire de taille qui rappelle constamment les grandes œuvres de science-fiction. Difficile de ne pas voir une inspiration alienesque dans le character design des mutants Marigan au cœur du scénario.
La véritable force du premier long-métrage de Takahide Hori réside dans son jusqu’au-boutisme. Si l’humour désamorce fréquemment l’horreur des situations, la violence du monde souterrain n’est jamais voilée (après tout, le film est interdit aux moins de 12 ans sur le sol français) et le destin des personnages est constamment sujet à l’incertitude. Le malaise est fréquent, à l’image d’une séquence au cours de laquelle un personnage prélève ce qui semble être des organes sur des corps en culture. Après tout, le film nous laisse entrevoir un futur des plus sombres… Riche en action malgré sa conception artisanale, la production nippone est un véritable concentré d’émotions qui joue avec l’esprit du spectateur. Drôle, terrifiant et électrisant, Junk Head est un véritable chef d’oeuvre du cinéma d’animation qui compte aussi sur sa bande originale inévitablement électronique pour nous emporter. C’est simple, on ne voit pas passer les 100 minutes que dure le film même si quelques structures narratives se révèlent répétitives pour conter le douloureux accès à la vérité de Praton.
Au final, Junk Head est un premier essai au long cours fascinant de la part d’un réalisateur à surveiller de très près. Sans jamais perdre de vue l’émotion qui sied bien à ses personnages en perte de repères, ce premier long-métrage comporte un foisonnement de tons et d’idées qui emporte l’adhésion de son public. La fin ouverte laisse la porte à de nouvelles aventures dystopiques mais dépose surtout sur un récit si sombre un voile d’optimisme à chérir longtemps !
Un conseil pour finir : restez bien dans la salle pour le générique car il nous offre un semblant de making-of en time lapse qui témoigne de l’intense travail quémandé par la production d’un tel film.