Pour bien débuter l’année 2020, le sixième long-métrage d’Anca Damian arrive enfin dans nos salles françaises. On se souvient surtout du vibrant Voyage de Monsieur Crulic qui avait remporté le Cristal du long-métrage au festival d’animation d’Annecy en 2012 alors on appréhendait l’arrivée de son nouveau projet avec grand enthousiasme. S’il est reparti bredouille du festival savoyard, ce nouveau film n’en demeure pas moins passionnant et propose un regard plein de charme et d’amertume sur la vie d’une chienne esseulée. Poignant.
Synopsis : Victime d’un accident, Marona, une petite chienne, se remémore les différents maîtres qu’elle a connus et aimés tout au long de sa vie. Par son empathie sans faille, sa vie devient une leçon d’amour.
Tandis que les films précédents d’Anca Damian s’adressaient surtout à un public averti parce qu’il s’agissait de prendre part pour des causes socio-politiques fortes, L’extraordinaire voyage de Marona, quant à lui, parlera à tous les publics. Bien que la forme choisie soit exigeante, à la limite de l’abstraction sur certaines séquences, le propos filmique résonnera en chaque spectateur, quel qu’il soit. Suivant le parcours difficile d’une chienne séparée de sa famille quelques jours après sa naissance, le long-métrage se propose de se mettre à la place d’un animal passé de maître en maître jusqu’à l’issue fatale que le prologue nous fait entrevoir. Sans se restreindre à un plaidoyer pour la cause animale, le scénario propose un véritable « voyage » promis par le titre qui en émouvra plus d’un.
Aux confins d’une mise en scène surréaliste aux limites graphiques invisibles, L’extraordinaire voyage de Marona se démarque brillamment des productions uniformisées des grands studios mondiaux. En proposant un univers foisonnant, autant graphique que scénaristique, l’équipe créative imagine un monde à l’originalité sans failles : les villes sont des lignes infinies qui se tordent et se détordent au fil du récit. A l’image des nombreux humains que Marona rencontre au fil de sa courte vie, le film regorge d’éléments graphiques et l’on ne sait parfois plus où donner de la tête tant ce qui apparaît à l’écran est multiple. C’est aussi une manière de présenter la poésie du monde et ce qu’il a de beau et de déstabilisant à offrir. Sans sentimentalisme exacerbé, le scénario touche beaucoup et l’onirisme s’invite souvent pour conter les rapports touchants entre la chienne et des maîtres. On retient surtout le quotidien féérique et virevoltant de l’acrobate, magnifié par les remarques de la chienne en voix off, portée par la voix affirmée de Lizzie Brocheré.
Mais ce sixième long-métrage est également le cœur d’innombrables questionnements, inaugurés par la narration de Marona ou par les personnages rencontrés : comment faire vivre décemment une bête lorsqu’on a du mal à bien vivre soi-même ? Quel rôle joue-t-on vraiment sur Terre ? En ce sens, l’univers et ses astres sont très présents à l’écran grâce aux lignes géométriques qui composent parfois les plans ou les astres qui font irruption sans logique narrative. Ces planètes tournoyant auprès de Marona n’apportent rien à l’intrigue du film mais elles métabolisent à merveille le propos existentiel du long-métrage. Comment trouver sa place au milieu de tous ces humains imprévisibles ?
En effet, le « voyage » de Marona est surtout psychologique et ses différents maîtres lui apprennent tous quelque chose sur l’existence et ses ressorts, quitte à vivre des moments difficiles parce que le film se refuse à cacher les violences du monde. Qu’il s’agisse des villes glauques dans lesquelles Marona déambule grâce aux travellings évocateurs ou des comportements imprévisibles des humains rencontrés : l’égoïsme, la bipolarité, l’appât du gain sont autant de freins à la société. Peu de maîtres maltraitent Marona mais beaucoup lui imposent un modèle de vie qui n’est pas forcément le sien (à l’image des prénoms successifs qu’on lui donne alors qu’elle reste attachée à celui que sa mère lui a donné).
Au final, L’extraordinaire voyage de Marona est un ravissement graphique. Oubliez l’exigence réaliste qui pousse les studios américains à pousser leurs logiciels d’animation pour frôler l’hyper-réalisme, Anca Damian fait le choix de l’inattendu pour conter le parcours torturé d’une chienne. Véritable fable cinématographique, le film questionne son spectateur qui ressort déstabilisé par la multiplicité qui dicte tous les pans du film. A découvrir d’urgence !
Critique rédigée par Nathan