Amateurs de science-fiction et/ou de polars noirs, Jérémie Périn et son équipe vous ont réservé une œuvre fondamentale qui devrait faire date dans l’histoire du cinéma d’animation français. C’est simple, les attentes étaient grandes à la suite de l’annonce de ce projet d’envergure mais le résultat à l’écran dépasse toutes nos espérances. Audacieux, thématiquement passionnant et graphiquement minutieux, le premier long-métrage de son créateur est une oeuvre fascinante qui s’empare des questions de notre temps sans omettre d’offrir des personnages attachants. Mars Express mérite un succès retentissant ! Une manière de récompenser tous les efforts entrepris par l’équipe du film mais aussi de paver le futur de notre animation française de projets aussi réjouissants qu’audacieux.
Attention, il se peut que quelques spoilers se glissent dans cet article, alors soyez prudents !
Résumé : En l’an 2200, Aline Ruby, détective privée obstinée, et Carlos Rivera son partenaire androïde sont embauchés par un riche homme d’affaires afin de capturer sur Terre une célèbre hackeuse.
De retour sur Mars, une nouvelle affaire va les conduire à s’aventurer dans les entrailles de Noctis, la capitale martienne, à la recherche de Jun Chow, une étudiante en cybernétique disparue…
Subtilement, le film nous plonge dans son univers futuriste au cours d’une première séquence troublante : une jeune femme dépossède son chat robotique d’un pelage plus vrai que nature. Cette entrée en matière surprenante exhibe aussi l’une des passionnantes réflexions au coeur de son histoire : où sont les limites entre le réel et le virtuel dans ce futur possible ? Qu’il s’agisse de la station martienne Noctis, faite d’apparences terrestres, ou des androïdes peuplant la base spatiale mais aussi la terre, la frontière entre le naturel et la technologie anime le récit. Et ce ne sont pas les innombrables plans sur des corps, humains et robotiques, qui réfuteront cette attention. C’est aussi dans ses genres que le film oscille entre deux mondes, à mi-chemin entre l’aventure de science-fiction et l’enquête de film noir. Le spectateur se pose alors la question de savoir ce qu’il serait/ferait, en tant qu’être humain, dans ce monde où l’ultra-technologie brise les frontières du possible.
Aline, protagoniste investie doublée avec conviction par Léa Drucker, est un vrai personnage de polar, elle qui doit faire face à ses démons au premier rang desquels l’on retrouve la dépendance à l’alcool. Son associé, androïde figurant un collègue décédé, n’est pas en reste tant son histoire personnelle développe le propos filmique tout en l’agrémentant d’émotions vives. Au coeur de ce monde clinique, aux rapports sociaux désincarnés (on communique beaucoup par la pensée via des puces électroniques) et méfiants entre les hommes et les machines, les questionnements sur l’IA (ancrées dans notre réalité) s’associent au pouvoir des médias et des chaînes d’infos qui ne sont pas sans rappeler nos propres pratiques. Au détour d’une séquence, une journaliste questionne un intervenant au sujet des violences envers les robots : « Mais ces violences, est-ce que vous les condamnez ? » Ne doit-on pas y voir un sous-texte politique d’actualité ? En dire plus serait trop en dévoiler mais la magnifique conclusion du récit porte en son sein un regard profondément pessimiste sur la cohabitation entre les Hommes et les machines. Peut-on réellement vivre en harmonie ?
Ajoutez à ces lectures passionnantes une esthétique au cordeau, et vous obtenez un véritable objet de fascination cinématographique. Les influences graphiques sont multiples (il est difficile de ne pas penser aux œuvres de Satoshi Kon) et s’associent à merveille à la bande originale quasi mystique de Fred Avril et Philippe Monthaye. Si les scènes d’action se comptent sur les doigts d’une main, elles impriment la rétine tout en proposant parfois des idées originales, à l’image d’une désincarcération de voiture sous haute tension au beau milieu d’une autoroute futuriste. Même si l’histoire peut paraître prévisible en certains aspects – et le casting vocal met la puce à l’oreille tant certains noms ne peuvent se réduire à des personnages tertiaires – elle est cliniquement construite, au diapason avec un sens de la réalisation affuté. L’attention du spectateur n’est jamais mise en péril !
Mais ne vous y trompez pas, Mars Express n’est pas qu’une somme austère de choix artistiques, bien au contraire. Le film sait aussi distiller des notes d’humour qui font mouche et qui permettent de souffler quelque peu dans l’océan d’inquiétudes futuristes véhiculées par l’histoire. Dans ce monde dans lequel il est possible de mettre son cerveau en location à des entreprises, les personnages nous impliquent et nous emportent dans une enquête passionnante. C’est simple, quand on sort de la salle, abasourdis par la séquence finale, on rêve déjà de repartir sur Mars pour une nouvelle séance.
Vous avez donc le devoir de soutenir cet OVNI de l’animation française dès sa sortie en salles le 22 novembre prochain via Gebeka Films. Aux portes du chef d’oeuvre, Mars Express est un film de son temps qui questionne l’intelligence artificielle, les rapports humains, les médias et les individualités en société au gré d’un récit qui ne faiblit jamais. Une œuvre rare qu’il est nécessaire d’accueillir avec enthousiasme pour auréoler de succès son équipe passionnée !
1 comments On (Critique) Mars Express de Jérémie Périn
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