Petite sensation au Festival d’animation d’Annecy en juin 2019 (et grand succès au Danemark), le long-métrage d’Anders Matthesen et Thorbjorn Christoffersen (derrière l’hilarant Ronal le barbare) arrive enfin sur les écrans français, plus d’un an après sa projection en Haute-Savoie. Une attente un brin frustrante heureusement récompensée par une production de qualité. Aventure trépidante sur le dépassement/affirmation de soi, la rencontre entre un jeune garçon et une poupée ninja révèle de beaux enjeux et plaira à tous les publics. Une belle manière de renouer avec les salles obscures après la disette culturelle de ces derniers mois…
Film recommandé aux enfants entre 8 et 14 ans (mais aussi aux grands enfants !)
Résumé : Le jeune Alex, élève en classe de 5ème, vit dans une famille recomposée. Pour son anniversaire, il reçoit de la part de son oncle excentrique, de retour de Thaïlande, une poupée Ninja vêtue d’un étrange tissu à carreaux. Alex découvre que le jouet s’anime et qu’il parle !
Le Ninja propose à Alex un pacte secret : il l’aide à devenir plus fort pour affronter ses peurs et ne pas se laisser intimider à la maison comme à l’école. En échange, Alex doit l’aider à accomplir une mystérieuse mission… Cette alliance faite d’amitié, de courage et d’humour transformera pour toujours ces deux improbables compagnons.
Dès la première scène, le scénario et la mise en scène donnent le ton : au cœur d’une jungle luxuriante, des enfants travaillent inlassablement à la confection de poupées ninja pour le marché mondial. Le fameux « arbre qui cache la forêt ». Le capitalisme est évidemment pointé du doigt tout comme l’inhumaine exploitation enfantine : rares sont les productions animées abordant frontalement de tels sujets d’autant plus que le scénario ose aller jusqu’à la mise à mort d’un de ces « esclaves » modernes. Avec brutalité mais réalisme, l’équipe créative annonce la couleur du film qui vire pourtant rapidement à la comédie (sans cela, le film aurait emprunté des chemins trop obscures). Sans oublier son postulat d’origine, Mon ninja et moi se révèle heureusement plus solaire que prévu et recourt à des péripéties plus balisées par la suite. Alors que la poupée ninja, partie en vendetta contre l’incarnation du mal capitaliste, rencontre Alex, le ton général se radoucit.
C’est alors que peuvent débuter les intrigues plus traditionnelles de collégiens sujets aux histoires de cœur tourmentées mais également aux conflits de famille ici recomposée. Si le film ne réinvente pas grand chose sur ces plans, il le fait avec du cœur et promet de bonnes tranches de rires à tous les spectateurs d’autant plus que les deux personnages principaux sont très attachants. Deux publics co-existent (les plus grands s’amuseront des innombrables clins d’œil composant la diégèse filmique à l’image de l’intrigue sur la drogue ou bien la plaque d’un dealer vantant ironiquement les mérites de la souffrance – « no pain no brain »), mais le long-métrage réussit sur les deux tableaux. Faire rire tout en faisant réfléchir, un bien beau projet qui pallie les prises de risque minimes au niveau des péripéties. Après tout, il s’agit surtout d’un récit d’initiation par les arts martiaux comme le cinéma nous en offre souvent.
Ancré dans le réalisme, le film aborde de nombreux faits de société qui feront réagir les plus grands présents dans le public : #metoo, le tabagisme, la forte présence des régimes sans gluten, et tant d’autres encore. La jolie palette de personnages renforce ce propos contemporain, qu’il s’agisse de la mère obnubilée par les bienfaits d’une vie saine ou du ninja s’érigeant en défenseur des opprimés. A l’heure où le travail infantile subsiste dans certains pays, ce film est essentiel ! Au-delà des fils narratifs stéréotypés (l’intégration d’Alex dans son collège, l’apprentissage pour s’affirmer), Mon ninja et moi a des choses à dire.
Sur le plan graphique, l’équipe créative doit évidemment composer avec un budget mesuré mais propose un univers soigné (les décors sont parfois ravissants) souvent malmené par un chara design un brin anecdotique. Les productions 3D se ressemblent beaucoup depuis les standardisations shrekiennes : Mon ninja et moi en est une nouvelle victime (alors que l’unique séquence 2D narrant le passé de l’esprit ayant pris possession de la poupée ninja est fascinante). Cet apparat parfois peu inspiré va de pair avec la quête incessante du scénario à vouloir être dans l’air du temps au risque de paraître démodé dans quelques années. A titre d’exemples, le hand-spinner ou le floss sont déjà du passé dans les cours d’écoles (alors qu’ils étaient en vogue lors de la sortie originelle du film au Danemark). Au rang des éléments décevants, n’omettons pas les quelques chansons parcourant le film : très kitsch, à l’image de la première exprimant les sentiments du jeune Alex pour l’une de ses camarades, elles amoindrissent la puissance évocatrice du film. Le film aurait gagné à atteindre une plus grande intemporalité, mais le plaisir subsiste !
Au final, Mon ninja et moi des studios A. Film Production et Pop-Up Production est une aventure réjouissante ! Paré d’un humour grinçant et d’une dureté parfois surprenante, la production danoise ose beaucoup malgré quelques hésitations graphiques. Les plus jeunes se prendront de passion pour l’aventure du petit ninja à carreaux tandis que les plus grands salueront les propos forts véhiculés par le film.