(Critique) Slocum et moi de Jean-François Laguionie

A bien y regarder, la filmographie de Jean-Francois Laguionie a toujours été traversée d’une soif d’aventure et de nouveaux horizons, des espoirs du roi singe dans Le château des singes jusqu’à la solitude balnéaire de Louise dans Louise en hiver, film sur lequel nous avions laissé le réalisateur jusqu’alors. Dans Slocum et moi, l’aventure est multiple et synthétise les itérations présentes dans son cinéma. Entre évocation autobiographique d’une enfance heureuse, ode à l’aventure ou retour sur son art, l’artiste a fait le choix de l’association touchante. Son (dernier ?) long-métrage peut sembler assez sage de prime abord mais il invite à la rétrospective pour un résultat à la singularité presque exigeante. Une invitation à voyager, dans un espace resserré et tendre, en bord de Marne. 

Résumé : Début des années 50, sur les bords de Marne, François, un jeune garçon de 11 ans, découvre avec intérêt que ses parents entament, dans le petit jardin familial, la construction d’un bateau, réplique du voilier du célèbre marin Joshua Slocum. Au long des années, dans une France d’après-guerre, le jeune François va voguer de l’adolescence à l’âge adulte. Au fil de la construction du bateau, tout en portant un regard tendre et poétique sur sa mère et son père, le jeune garçon entamera sa propre aventure, celle qui le mènera sur le chemin de ses passions, la mer et le dessin.

(c) Gebeka Films

Comme tant d’artistes avant lui, Jean-Francois Laguionie bâtit un récit de jeunesse mêlant navigation, naissance de pratique artistique et compréhension d’un père d’adoption taiseux. A travers une carte postale cinématographique d’une France d’après guerre inévitablement désuète, le scénariste-réalisateur évoque le projet ambitieux de son enfance, dans une France marquée par le passé mais résolument tournée vers l’avenir. L’aventure est de tous les instants tandis que le jeune Jean-Francois diégetique se passionne pour le grand navigateur Joshua Slocum (premier marin à avoir fait le tour du monde à la voile en solitaire), sujet de séquences plus spectaculaires dans le film. Des séquences dépaysantes justifiant le surnom affublé au père du jeune garçon par ses amis du village lorsqu’il entreprend de reconstruire fidèlement le navire du marin, le Spray. Mais l’aventure est aussi intérieure, le réalisateur tentant de conter son enfance comme s’il entreprenait une navigation intérieure (comme le livre feuilleté par sa mère au détour d’une balade en ville). Se raconter en célébrant l’homme l’ayant élevé et ayant entrepris la construction d’une arche familiale salvatrice : un projet à la tendresse infinie que Jean-François Laguionie met en scène avec d’infinies subtilités qui émeuvent.

Dans une esthétique chère à son auteur, hybridation de décors peints et de personnages animés en 3D, les souvenirs attachants surgissent et suivent l’entreprise architecturale d’un père d’adoption aux mystères insondables, comme cette lubie de reconstruire la coque du navigateur américain. Sans jamais vraiment expliciter les intentions de ce projet fou, le personnage énigmatique semble maintenir à flots la cohésion de sa famille. Même si les personnages sont un peu rigides dans leurs mouvements, les décors sont sublimes – comme des tableaux jalonnant l’enfance de l’artiste – et bâtissent les contours d’une époque révolue. En liant les voyages mouvementés de Joshua Slocum au quotidien merveilleusement anodin de sa famille, Jean-Francois Laguionie tisse des liens implicites avec l’ensemble de son œuvre. Comment ne pas penser aux voyages prodigieux du jeune héros de L’île de Black Mor ? Comment ne pas repenser aux propos de Dominique Frot dans Louise en hiver quand l’eau reprend ses droits dans le village de Jean-François et ses parents ? Slocum et moi est touchant parce qu’il évoque des liens familiaux sincères mais également parce qu’il porte un regard nostalgique sur la carrière de son auteur.

(c) Gebeka Films

Vous l’aurez compris, Slocum et moi est une tendre synthèse du cinéma de son auteur. En renouant avec son enfance provinciale, le réalisateur embrasse ses thématiques en partant en quête de ses inspirations tout en posant un regard plus adulte sur l’entreprise chimérique de ses parents. L’émotion y est exigeante (comme son comparse Michel Ocelot, Jean-François Laguiole se refuse à tout ciblage du public), mais l’aventure est si sensible qu’elle nous cueille aisément. 

En salles le 29 janvier via Gebeka Films. 

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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