Présentée comme le retour en force des studios Pixar – et son premier week-end impressionnant au box-office mondial le confirme déjà – la suite du film de Pete Docter reprend les mêmes recettes que son aîné pour nous divertir, peu importe notre âge. On peut alors saluer l’exigence artistique du projet qui ne manquera pas de faire rire, réfléchir et pleurer toutes les générations (la grande force des studios !), mais ne peut-on pas aussi regretter l’écriture un brin programmatique du film ? Retour (très) subjectif sur l’un des phénomènes de l’année 2024 qui ne fait que commencer…
Résumé : Fraichement diplômée, Riley est désormais une adolescente, ce qui n’est pas sans déclencher un chamboulement majeur au sein du quartier général qui doit faire face à quelque chose d’inattendu : l’arrivée de nouvelles émotions ! Joie, Tristesse, Colère, Peur et Dégoût – qui ont longtemps fonctionné avec succès – ne savent pas trop comment réagir lorsqu’Anxiété débarque. Et il semble qu’elle ne soit pas la seule…
S’il y a bien un film Pixar qui se prêtait à une suite, c’est Vice-Versa. La perspective de suivre l’apparition de nouvelles émotions dans l’esprit de la jeune Riley se prêtait à toutes les inventions. Ainsi débarquent Anxiété (véritable force comique et dramatique de ce nouveau film), Envie, Embarras, Ennui et dans une moindre mesure, Nostalgie (qui prendra logiquement de l’ampleur dans un hypothétique troisième film) aux commandes du cerveau de Riley. C’est avec un plaisir non feint que l’on découvre leurs interactions avec les émotions ayant déjà notre affection mais cela est de courte durée, l’inévitable élément perturbateur – la puberté – déclenchant une révolution dans l’esprit de la jeune joueuse de hockey. Commence alors une somme de péripéties reprenant méticuleusement tous les ressorts du premier film à travers une plongée dans les tréfonds de la pensée de l’héroïne. Toute l’introduction nous enthousiasme par son caractère inédit, la suite nous divertit de manière plus prévisible lorsque Joie et ses amis partent en quête d’un artefact émotionnel égaré. Vous avez dit remake ?
Tandis que Riley fait de nouvelles rencontres et espère intégrer une célèbre équipe de hockey, Anxiété prend les commandes sur les agissements de la jeune fille mais aussi sur sa conscience. Une conscience introduite dans ce film et offrant l’un des plus beaux (et inédits) décors de Vice-Versa 2 : le centre de la conscience, irrigué par le courant de la pensée. Un courant rejoignant la longue liste d’astucieuses métaphores décrivant nos psychés. Comme dans le premier film, les réactions humaines et leurs mystères se donnent à voir avec poésie, qu’il s’agisse d’une tempête d’idées ou d’un canyon du sarcasme. Mais ce système narratif sur deux niveaux – l’externe et l’interne – entrave parfois la pleine puissance de la dimension existentielle de cette histoire. On en oublierait presque l’immédiateté de l’émotion tant l’ensemble des rouages de la pensée et du coeur nous sont explicités. En prenant à bras le corps le thème de l’anxiété, le film de Kelsey Mann (qui peine à exprimer sa propre personnalité dans l’univers bâti par Docter avant lui) promettait une vague d’émotions et de larmes, au moins à la hauteur de Bing Bong l’éléphant-dauphin du premier film. Il n’en sera rien… L’anxiété s’empare de Riley mais la construction narrative, calquée sur le premier film, évince son imprévisibilité…
Qui dit suite dit horizon d’attente. A trop en attendre d’une oeuvre, notre jugement en est affecté. Vice-Versa 2 délivre une aventure divertissante à souhait, notamment grâce à un humour référencé (à l’image d’un clin d’oeil savoureux aux shows télévisés pour enfants misant sur l’interactivité) et à des personnages drolatiques. Mais le trop-plein de personnages n’évite pas l’écueil habituel du développement sommaire de certains – Embarras, entre autres. Si Anxiété offre la caractérisation la plus intéressante et la plus pertinente au regard du propos tenu par le film, les anciennes émotions s’enlisent dans leurs erreurs passées, Joie peinant une fois encore à prendre en considération l’apport existentiel d’autres émotions dans l’esprit de la jeune fille. La folie des personnages-émotions prend aussi parfois le pas sur l’implication émotionnelle envers Riley. Lors du climax, notre coeur se serre davantage pour Anxiété, à l’origine des troubles par inconscience, que pour Riley qu’elle commande dans un chaos rappelant celui du premier film. C’est aussi dans ses incohérences que ce deuxième opus refrène notre enthousiasme : quid des « îles de la personnalité » lorsque Riley tourne le dos à ses deux meilleures amies ? Le film ne les évoque plus dès lors que l’aventure est lancée.
Si ces écueils narratifs et émotionnels empêchent le film de se hisser au niveau de son aîné, le savoir-faire indéniable des studios Pixar fait encore des merveilles sur le plan visuel, qu’il s’agisse du réalisme convaincant de la vie de Riley ou de l’aspect plus cartoon du monde des émotions. Les nouveaux personnages colorés embrassent pleinement les allégories qu’ils incarnent. Le film est en terrain conquis – rares sont les nouveaux décors – mais l’univers visuel et l’exploitation poétique des souvenirs colorés absorbent notre regard. Tout comme le spectateur, l’équipe créative semble définitivement plus intriguée par les coulisses de l’existence de Riley que par son quotidien tout tracé.
Au final, Vice-Versa 2 est un divertissement rivalisant presque avec l’intelligence de son aîné grâce à son lot de métaphores pertinentes. Mais la surprise étant passée, l’émotion se fait désormais mécanisme. On rit (beaucoup), mais l’avalanche d’émotions attendue est réduite par la dimension programmatique de son histoire et de son système inhérent, des réactions internes aux manifestations externes.
En salles le 19 juin via Disney France.