Datée au 28 octobre 2015, la journée mondiale du cinéma d’animation est célébrée en France, et dans près de quarante autres pays partout dans le monde, depuis 2002. Petit récit d’une journée mondiale du cinéma d’animation qui a une véritable histoire à raconter…
En effet, cette date n’est pas complètement anodine puisqu’elle fait référence, ou rend hommage selon le point de vue, à Émile Reynaud (1844 – 1918) qui était non seulement l’inventeur du théâtre optique mais est aussi le premier homme à avoir projeté le premier film d’animation à Paris il y a plus de 120 ans, le 28 octobre… 1892.
Le passé, un bout d’histoire
Cette projection a eu lieu au Musée Grévin, qui n’est plus à présenter, devant des spectateurs fascinés par ce qu’ils étaient en train de voir : les pantomimes lumineuses. Les séances, quotidiennes et régulières, attirent énormément de monde jusqu’en 1890 puisqu’elles cumulent plus d’un demi-million de spectateurs. Un chiffre colossal d’autant plus que le musée Grévin n’avait qu’une salle aux dimensions modestes et qu’il avait passé un contrat d’exclusivité avec Émile Reynaud pour ne pas diffuser son spectacle ailleurs.
Sous ce nom un peu barbare, les pantomimes lumineuses, se cache en réalité un travail de recherche et de technicité sans égale pour l’époque, un travail tellement abouti qu’il préfigure, trois années avant, l’invention du cinéma et du spectacle cinématographique. Rien que ça ! Toutefois, les sources divergent à ce sujet mais ce qui est sûr c’est que quelque chose de nouveau est apparu, quelque chose de fantastique qui va faire date : le cinéma d’animation. Le terme « Pantomimes lumineuses » était à l’origine le spectacle complet que proposait Émile Reynaud, accompagné au piano d’une musique originale de Gaston Paulin, mais cela s’est vite étendu aux différentes saynètes de son spectacle. Aujourd’hui, et d’après les archives, on en dénombre huit :
5 Pantomimes lumineuses réalisées entre 1888 et 1893 :
[toggles][toggle title= »Un Bon bock, peinte en 1888 ; il ne reste qu’un fragment dans les fonds de la Cinémathèque française. »]
Scène comique, peinte en 1888.
Dates de représentation au Musée Grévin : novembre 1892 – février 1894 et décembre 1894
Nombre de poses : 700
Longueur : 50 mètres
Durée : environ 15 minutes
Musique : Gaston Paulin
Décor : un cabaret à la campagne (extérieur). Au fond, une porte de jardin.
Personnages : le promeneur, la servante, le marmiton, le voyageur
[message]Le promeneur entre, il appelle la servante ; comme elle ne vient pas, il frappe sur la table avec sa canne (frappeur électrique, plusieurs fois). La servante paraît enfin ; elle sort pour aller chercher un bock. Le promeneur, resté seul, fait comprendre au public qu’il trouve la petite à son goût. La servante revient avec le bock, qu’elle pose sur la table ; le promeneur se jette à genoux devant elle et se livre à une mimique expressive. Pendant ce temps, le marmiton entre, rit du spectacle donné par le couple, boit rapidement le verre de bière et se sauve par le fond. La servante s’échappe et disparaît. Stupéfaction du promeneur devant son bock vide… Il rappelle la servante ; elle court chercher un nouveau bock. Entrée d’un voyageur (type anglais) portant une grosse valise ; il pose sa main sur l’épaule du promeneur et le tire de sa rêverie. Pour se moquer de lui, le promeneur se met à danser en gesticulant. Le voyageur se fâche ; dispute. Pendant la dispute, le marmiton revient et boit le second bock comme il a bu le premier, puis se sauve. Le voyageur outré s’en va à son tour. Le promeneur se retrouve seul : nouvelle stupéfaction devant son bock vide. Il rapelle la servante, lui adresse des gestes de menace et s’en va. Le marmiton revient ; il fait comprendre à la servante que c’est lui qui a bu les deux bocks, et tous deux, après avoir esquissé des gestes moqueurs à l’adresse du promeneur, disparaissent.[/message]
[/toggle][toggle title= »Clown et ses chiens, peinte en 1890 ; la plaque du décor est conservée dans les fonds de la Cinémathèque française. »]
Intermède, peint en 1890
Dates de représentation au Musée Grévin : novembre 1892 – février 1894
Nombres de poses : 300
Longueur : 22 mètres
Durée : environ 10 minutes
Musique : Gaston Paulin
Personnages : 1 clown et 3 chiens
[message]Le clown entre et salue. Les trois chiens, des caniches, font, ensemble ou séparément, divers exercices : se tiennent debout, prennent la baguette dans leur gueule, passent à travers un cerceau, marchent sur une boule, sautent par-dessus la baguette, etc.[/message]
[/toggle][toggle title= »Pauvre Pierrot, peinte en 1891 ; la bande a été restaurée et conservée par les Archives françaises du film pour le Centre national du cinéma et de l’image animée. »]
Pantomime, peinte en 1891
Dates de représentation au Musée Grévin : novembre 1892 – février 1894
La bande originale a été prêtée en 1926, puis donnée en 1928 par la famille Reynaud au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM). Elle est conservée aux Archives Françaises du Film du
CNC. Plusieurs copies grandeur nature et adaptations cinématographiques ont été réalisées.
Nombre de poses : 500
Longueur : 36 mètres
Durée : environ 15 minutes
Musique : Gaston Paulin
Décor : un jardin au clair de lune. A gauche, maison de Colombine ; à droite, une colonne surmontée d’un vase de fleur ; au fond, une porte.
Personnages : Arlequin, Colombine et Pierrot
[message]Arlequin paraît au-dessus du mur de fond, l’enjambe, saute à terre, se cache derrière la colonne. Colombine sort de la maison. Arlequin se montre subitement ; surprise de Colombine ; Arlequin retire son masque ; déclaration d’amour ; Arlequin enlace Colombine… Coups de sonnette, hésitation, Arlequin regagne sa cachette. Colombine ouvre la porte du fond, Pierrot entre, sa mandoline en bandoulière, cachant derrière son dos un gros bouquet. Il présente le bouquet à Colombine, qui le prend sans enthousiasme en détournant la tête. Voyant qu’elle ne répond pas à ses avances, Pierrot sort navré. Arlequin, sortant la tête de sa cachette, le regarde s’en aller et fait signe d’intelligence à Colombine. Celle-ci rentre dans la maison. Pierrot reparaît, pleurant à chaudes larmes ; il sort une bouteille de sa poche, boit quelques gorgées, pose la bouteille par terre derrière lui et accorde sa mandoline. Tourné vers le balcon de Colombine, il chante une sérénade. Au bout de quelques notes, Arlequin l’interrompt d’un coup de batte dans le dos ; étonnement de Pierrot, qui recommence encore et cette fois chante sa sérénade en entier : Pour peindre vos grâces fines, Votre taille de roseau, Je saurai prendre à Watteau, Son âme, ô ma Colombine. Un vieil air de mandoline, L’évoquera du tombeau, Pour peindre vos grâces fines, Votre taille de roseau… Mais Arlequin, sortant de sa cachette, administre au chanteur une volée de coups et Pierrot se sauve en se frottant le dos. Joie d’Arlequin, qui fait quelques entrechats, puis se précipite triomphant chez Colombine. Rideau.[/message]
[/toggle][toggle title= »Un Rêve au coin du feu, peinte en 1893, disparue. »]
Intermède, peint en 1890
Dates de représentation au Musée Grévin : novembre 1892 – février 1894
Nombres de poses : 300
Longueur : 22 mètres
Durée : environ 10 minutes
Musique : Gaston Paulin
Personnages : 1 clown et 3 chiens
[message]Le clown entre et salue. Les trois chiens, des caniches, font, ensemble ou séparément, divers exercices : se tiennent debout, prennent la baguette dans leur gueule, passent à travers un cerceau, marchent sur une boule, sautent par-dessus la baguette, etc.[/message]
[/toggle][toggle title= »Autour d’une cabine ou Mésaventures d’un copurchic aux bains de mer, peinte en 1893, la bande a été restaurée et conservée par la Cinémathèque française. »]
Intermède, peint en 1890
Dates de représentation au Musée Grévin : novembre 1892 – février 1894
Nombres de poses : 300
Longueur : 22 mètres
Durée : environ 10 minutes
Musique : Gaston Paulin
Personnages : 1 clown et 3 chiens
[message]Le clown entre et salue. Les trois chiens, des caniches, font, ensemble ou séparément, divers exercices : se tiennent debout, prennent la baguette dans leur gueule, passent à travers un cerceau, marchent sur une boule, sautent par-dessus la baguette, etc.[/message][/toggle][/toggles]
3 Photo-Peintures animées réalisées entre 1896 et 1898 pour le Théâtre optique :
[toggles][toggle title= »Guillaume Tell, photo-peinture animée proposée en 1896, reprise d’une pantomime des clowns Footit et Chocolat. »]
Scène comique réalisée en avril 1896, dans l’atelier du décorateur Ménessier, rue Petit à Paris.
Dates de représentation au Musée Grévin : août 1896 – mars 1900
Présentée au conseil d’administration du Musée Grévin lors de la séance du 13 mai 1896[1]
Musique : Gaston Paulin
Décor : un jardin (photographié dans le parc de Saint-Cloud)
Personnages : les clowns Footit et Chocolat
[message]Les deux clowns interprètent un de leurs sketches du Nouveau Cirque intitulé Guillaume Tell. Chocolat a la pomme sur la tête, il en croque un morceau alors que Footit le vise de son fusil qui n’est en fait qu’un fusil à eau.[/message]
[/toggle][toggle title= »Le Premier cigare, photo-peinture animée proposée en 1897, reprise d’une pantomime de Félix Galipaux. »]
Monomime comique réalisé en 1896 dans l’atelier du photographe Liébert, rue de Londres à Paris
Dates de représentation au Musée Grévin : juillet 1897 – décembre 1898
Présenté au conseil d’administration du Musée Grévin lors de la séance du 30 juin 1897[1]
Musique : Gaston Paulin
Décor : une vieille porte dans un parc
Personnages : Un jeune collégien (interprété par Félix Galipaux)
[message]Galipaux, habillé en collégien, mime les angoisses et les malaises d’un “potache” qui fume son premier cigare.[/message]
[/toggle][toggle title= »Les Clowns Price, photo-peinture chronophotographiée en 1898 mais qui ne sera jamais présentée au public. »]
Scène comique réalisée en 1898
Personnages : Les Clowns Price de l’Alhambra
Cette Photo-Peinture n’a jamais été projetée au Musée Grévin.
Cette Photo-peinture a été réalisée dans les ateliers du photographe Liébert à l’aide d’un appareil Demenÿ-Gaumont. Pour la projection de cette nouvelle Photo-peinture, Émile Reynaud va s’attacher à la construction d’un « projecteur continu à miroir oscillant ». Ne parvenant pas à un résultat satisfaisant, il laissera tomber à la fois l’appareil et la Photo-Peinture qui ne sera jamais projetée au Musée Grévin.[/toggle][/toggles]
Voici deux extraits des pantomimes lumineuses : le premier concerne Pauvre Pierrot et le second Autour d’une cabine.
Le présent, une reconnaissance internationale
Aujourd’hui, mercredi 28 octobre 2015, et comme chaque année depuis 2002, nous fêtons internationalement le cinéma d’animation. Mais cette année est véritablement exceptionnelle parce que cette reconnaissance s’est accentuée tout récemment avec l’UNESCO qui a reconnu les Pantomimes lumineuses dans sa douzième réunion du « Comité consultatif international du programme Mémoire du monde » à Abou Dhabi aux Émirats Arabes Unis du 4 au 6 octobre (pour choisir parmi la centaine de propositions qui leur ont été soumises) comme faisant maintenant et intégralement parti du Registre. Une inscription à cette « Mémoire du monde » plus que bienvenue tant la vision d’Émile Reynaud a bouleversé le monde du spectacle.
Les Pantomimes lumineuses sont donc intégrées à notre mémoire mondiale mais référencée dans leur Registre pour la France et la République tchèque (une partie des documents classés se trouvent là-bas), et cet article en est une maigre participation.
Ce mois-ci, ce ne sont pas moins de neuf films d’animation qui sont sortis au cinéma en France. Un chiffre ahurissant qui n’arrive que très rarement mais nous conforte dans l’idée que le mois d’octobre est décidément un mois exceptionnel.
Le futur, une diversité incroyable
Le futur est quant à lui déjà chargé en films d’animation dont les genres et les techniques se sont multipliées avec le temps, cela fera d’ailleurs très certainement l’objet d’un nouvel article. Nous le voyons tous les jours sur le site où sur notre timeline, les années 2000 ont vues les films d’animation sortir de plus en plus nombreux, et ce n’est pas près de s’arrêter ! Certaines grosses boîtes de production nous annoncent déjà des dates de sorties en 2018, voire 2019… Le futur s’annonce chargé en projets de tous genres et de toutes origines, ce qui n’est pas pour nous déplaire.
Le destin a voulu que ce mois d’octobre 2015 soit exceptionnel quel que soit l’époque où nous posons nos yeux : le passé avec l’invention du cinéma d’animation, le présent par la reconnaissance internationale avec la fête du cinéma d’animation et l’inscription au Registre des Mémoires du monde par l’UNESCO, et un futur très prometteur en termes de projets. Tenir un site comme Focus on Animation est très chronophage par définition, mais c’est ce n’est pas une mauvaise chose, c’est au contraire très important : suivre l’évolution de l’animation années après années avec toujours la même envie, la même rage et soif d’animation !
Comptez sur nous pour continuer encore de nombreuses années !
Sources : Émile Reynaud.fr, Youtube, Wikipédia, UNESCO.org.