Amateurs de curiosités animées et d’univers éclectiques (le nom de la compilation est parfaitement trouvé !), nous pouvons toujours compter sur les oeuvres concoctées au sein du studio Folimage pour nous faire vibrer. La bonne idée de la branche vidéo des studios français est de proposer un DVD composé d’oeuvres plus exigeantes que leurs sorties précédentes, pour s’adresser à un autre public. Les différences de ces courts-métrages sont leurs forces, l’heure est donc venue pour nous de vous en reparler !
Cette belle compilation sortira le 1er octobre via Folimage et contient un livret de 47 pages donnant la parole aux artistes derrière ces oeuvres fascinantes, après un avant-propos de Yaël Ben Nun, chercheuse en cinématographie animée. Nous essaierons de ne pas trop en dire par ici car les films et le livret se suffisent à eux-mêmes mais tout amateur d’animation se doit de posséder cette belle édition (qui aurait mérité une sortie en disque haute-définition pour nous ravir pleinement, mais l’éditeur a pensé à tout car en utilisant le DVD en DVD-Rom, on trouve un fichier .mkv en HD pour découvrir les films en qualité optimale !)
Make it soul (14 minutes) de Jean-Charles Mbotti Malolo : dans une esthétique 2D vibrante, deux frères s’épanchent dans le monde de la musique et mêlent la musique aux luttes sociales. Les morceaux musicaux débordent de couleur et de dynamisme, permettant à l’animation un festival d’efficacité : on en prend plein les yeux et les oreilles ! Le film est dédié à la mémoire de Sharon Jones et transpire la soul par tous les pores de l’écran : un bonheur qui a le mérite d’imposer un véritable style visuel !
Le chat qui pleure (7 minutes) d’Alain Gagnol & Jean-Loup Felicioli : une fois encore, on retrouve le style si caractéristique, tout en angles, du binômes Felicioli-Gagnol. Le sujet y est plus lourd que leurs précédents travaux puisqu’il y est question de violence au sein d’une fratrie. Le garçon violent, Lucas, est donc emmené chez son oncle, pour tenter de le redresser. Une ambiance pesante chez l’oncle, et des éclairages pertinents forment l’oeuvre la plus radicale et austère du binôme de créatifs. Sa brièveté peut nous laisser un peu sur notre faim mais son efficacité est redoutable !
Genius Loci (16 minutes) d’Adrien Maya Merigeau : l’univers quotidien d’une femme manifestement brisée est transfiguré. Un film frôlant parfois l’abstraction qui se joue des formes, des couleurs et des sons pour accompagner la perte de repères d’une jeune femme en quête de sens. L’inspiration cubiste accompagne le parcours urbain de la jeune femme se questionnant sur le chaos qui l’entoure. « Genius Loci » est une expérience finalement plus sensorielle que narrative qui se révèle même effrayante lors de la plongée dans une église pléthorique en fin de parcours. Un film qui surprend en permanence, y compris dans son usage du texte à l’écran. Il s’agit probablement là du film le plus exigeant (et le plus passionnant à analyser ?) du disque.
Folie douce, folie dure (18 minutes) de Marine Laclotte : un docu-fiction nous plongeant dans le quotidien d’un hôpital psychiatrique. Dans une imagerie quasi monochrome qui se colore davantage à l’extérieur, le doc-animé est rythmé par les voix des patients et des soignants. Des bribes de vies focalisées sur les êtres composant cet hôpital au lieu de représenter les décors ? Un exposé sur les troubles psychiatriques ? Un peu tout à la fois, dans un film un brin programmatique mais qui se focalise avec intelligence sur la vulnérabilité des patients face aux dangers qu’ils représentent au sein des médias (sont-ils si dangereux pour la société ?) En vivant une journée, du réveil des patients jusqu’au coucher, le film propose un regard nouveau sur un sujet si important.
Pachyderme (10 minutes) de Stéphanie Clément : une ambiance chaleureuse et une voix off plongeant le film dans une évocation autobiographique. Les sensations multiples de la jeune protagoniste chez ses grand-parents composent l’essentiel du récit : le parquet qui craque, les bruits du couloir, etc. Le son a une importance capitale puisqu’il anime la maison ancienne et les craintes de la jeune fille. Une ambiance résolument glauque à hauteur de cette enfant intriguée plus qu’effrayée par son séjour chez les grand-parents, allant de pair avec un propos sous-jacent des plus lourds. Face à l’inceste, la jeune fille se berce d’illusions… Et les métaphores abondent, à l’image du pachyderme donnant son titre au film.
Miracasas (14 minutes) de Raphaëlle Stolz : un personnage perdu est emporté par deux autres dans un champ inquiétant : on comprend alors que son âme subit le transport de son corps défunt. Il s’agit là d’une oeuvre quasi mystique qui se révèle dans imagerie baroque et foisonnante : un programme passionnant (et probablement mon coup de coeur de cette compilation vidéo) ! Partageant ses réactions en voix off tandis que son corps est pris en charge par le village, le protagoniste touche autant qu’il questionne. La procession funèbre est pavée de révélations sur les causes de la mort du personnage et l’animation enlevée et dynamique célèbre la vie dans la mort. Loin d’être moribond, le film célèbre le cycle de la vie, jusqu’à la (re)naissance !
Harvey (9 minutes) de Janice Nadeau : un film québécois abordant les problèmes de taille : un aîné, plus petit en taille que son petit frère, vit mal sa taille et s’identifie à un personnage de fiction contraint d’être minuscule. Sous ses faux airs de récit enfantin, « Harvey » déploie finalement une tragédie réaliste, son père décèdant d’une crise cardiaque. La naïveté de la situation à travers le regard d’un enfant est propice à de jolies réflexions et le film prend alors des airs de fable poétique sur la manière de surmonter une perte.
Les bonus consistent en trois autres courts-métrages (plus courts), qui diversifient encore un peu plus le contenu d’une sortie vidéo à célébrer :
Next ? (9 minutes) de Christel Guibert : une imagerie colorée arborant des traits fins pour animer le ballet d’êtres mi-animaux mi-humains en pleine séance de speed dating. Un film muet de rencontres fascinantes car se jouant dans la gestuelle plus que dans la parole, touchant ainsi au plus près l’universalité chère à l’identification du public. « Next ? » est un film doux amer sur les échecs sentimentaux, porté par des rythmes hispanisants. Un très joli film qui s’offre à la redécouverte.
Casa (7 minutes) de Sylvie Léonard Victorino : une femme aux angles graphiques étonnants étend son linge sur sa terrasse tout en pensant aux situations qui l’entourent en voix off. Le court-métrage s’offre à nous avec mystère et fascination, d’autant plus que l’animation sommaire et saccadée renforce l’austérité du propos, à l’image de la vie de cette femme pétrie de nostalgie. Oeuvre exigeante et intrigante, « Casa » est de ces films qui pousse au revisionnage pour se dévoiler un peu plus…
Sucré (5 minutes 30) de Gaël Brisou : dans l’unique film qu’il aura pu réaliser avant de nous quitter, Gaël Brisou dévoile une forêt ultra colorée dans laquelle se promène une figure féminine-féline. Dans un jardin quasi paradisiaque, des figures étranges (à l’image d’un cheval ogre dont elle s’éprend) tentent la jeune féline dans un film tourné vers les plaisirs, de la chair et de la vie. Une oeuvre troublante qui promettait une si belle suite de carrière…
Tous les films sont également disponibles en version anglaise sur le disque. Le DVD est un simple boitier amaray mais le livret qu’il comporte est une véritable mine d’informations qui compense le manque de making-of sur le disque. Bref, n’attendez plus et précommandez cette compilation célébrant à merveille les multiples voies rendues possibles par l’animation. A quand le prochain ?