Les projets défilent et l’Histoire continue de grandement inspirer les auteurs de films animés. Honoré dans la Sélection officielle du festival cannois 2020, Josep de l’illustrateur-réalisateur Aurel est de ceux-là. En prenant à bras le corps une esthétique atypique (rendant hommage à l’artiste Josep Bartoli, devenu personnage dans le film dont il est question ici) et un sujet rarement abordé sur grand écran (les camps de réfugiés espagnols fuyant le régime franquiste), la production française s’impose par une esthétique hétéroclite et des choix narratifs à l’émotion vive. Josep est une fable pétrie de vérités sur les heures sombres (et souvent passées sous silence) des prémices de la Seconde Guerre mondiale sur le sol français. Un temps où les réfugiés étaient vus d’un mauvais œil (comme aujourd’hui?) En parlant d’hier, le long-métrage d’Aurel nous parle de notre temps.
Résumé : Février 1939. Submergé par le flot de Républicains fuyant la dictature franquiste, le gouvernement français les parque dans des camps. Deux hommes séparés par les barbelés vont se lier d’amitié. L’un est gendarme, l’autre est dessinateur. De Barcelone à New York, l’histoire vraie de Josep Bartolí, combattant antifranquiste et artiste d’exception.
En reprenant l’esthétique griffonnée de Josep Bartoli pour composer un récit en partie biographique, l’équipe créative à la barre de Josep embrasse pleinement l’âme torturée de l’illustrateur ayant connu la violence de l’immigration. Dans la grande tradition des récits mémoriels, le long-métrage se sert d’une narration ancrée dans le présent (un jeune homme entend l’histoire de Josep Bartoli par le biais de son grand-père, gendarme à l’époque de l’enfermement de l’artiste). Les deux époques sont alors distinguées par des graphismes presque opposés : le présent est représenté par des traits fluides en animation traditionnelle tandis que les scènes passées (composant la majeure partie du film) sont esquissées, saccadées et les plans rivalisent d’esquisses volontaires (il n’est pas rare qu’un personnage se retrouve au beau milieu d’un décor seulement esquissé par des traits de crayon). D’ailleurs, l’image se délite plus qu’elle s’anime, en affirmant pleinement les saccades à l’origine du cinématographe. A l’image des êtres emprisonnés à ciel ouvert dans les camps français, l’animation est cosmopolite et les formes animées surprennent en permanence et l’on apprécie de voir les idées parfois oniriques de Josep Bartoli prendre vie à l’écran.
Loin des standards uniformisés d’Hollywood, Josep est sans concessions, qu’importent les sujets abordés à l’écran. La dureté du quotidien dans les camps est tour à tour montrée et suggérée par l’image et le son, à l’exemple du viol d’une femme par un homme métamorphosé en cochon. Pourtant, le film ne surexplique jamais et les détails en disent long : exemple parmi tant d’autres, un zoom sur une affiche prônant les valeurs de la France « Vive la France ! Liberté Egalité Fraternité » succède à une séquence emplie de violence dans laquelle des représentants de la loi française martyrisent un réfugié espagnol en l’humiliant. La satire n’est jamais loin tandis que le manichéisme s’absente pour composer un tableau humaniste des rapports entre les Hommes. Second personnage central du récit, le gendarme contant ses aventures à son petit-fils s’impose en figure solidaire face à l’incompréhension des français dès lors qu’il s’agit d’accueillir des étrangers sur le sol national : un récit résolument (et malheureusement) contemporain. Les échos foudroyants à notre actualité sont criants.
Si vous en doutiez encore, Josep est une œuvre passionnante, qui mérite amplement sa nomination aux Césars. En respectant constamment l’artiste dont il est question, le film lui rend un hommage aussi touchant qu’essentiel en ces temps troublés jusqu’à la séquence finale, d’une douceur évocatrice saisissante. Au cœur d’une galerie d’art, les combats de Josep résonnent encore dans le cœur d’un jeune homme et d’une galériste d’un certain âge…
EDITION VIDEO
L’éditeur vidéo (ESC Distribution) nous a fait parvenir l’édition haute-définition du film, accompagnée du DVD bonus de l’édition spéciale Fnac comprenant un documentaire sur Joseph Bartoli intitulé « Le dessin pour mémoire » (52 minutes). La copie a été visionnée sur un écran OLED 4K, comme de coutume pour nos tests.
Image & son : quel plaisir de pouvoir contempler l’oeuvre hétéroclite de Josep Bartoli prendre vie sur l’écran à travers une édition haute-définition soignée. Les traits vacillants choisis par l’équipe créative sont fidèles et la colorimétrie est respectée avec des couleurs appropriées, des teintes chaleureuses de la rencontre avec Frida Kahlo jusqu’aux noires représentations d’un quotidien douloureux au coeur des camps. Une belle manière de découvrir le film qui a eu une carrière trop courte en salles.
Du côté du son, une piste DTS-HD Master Audio 5.1 compose cette galette haute-définition. Une belle piste mettant en valeur les voix des personnages (aux origines diverses, les sous-titres sont donc de la partie) tout en saupoudrant l’intrigue de musiques hispaniques charmantes. Du bel ouvrage !
Interactivités : l’édition standard comprend quatre bonus fort intéressants qu’il serait dommage de louper si vous avez apprécié le film.
– Court-métrage « Octobre noir » d’Aurel & Florence Corre (12 minutes) : une animation en clair-obscur avec un propos racial au cœur du film. Une manière de constater que les propos sociaux sont au coeur des questionnements du réalisateur à la barre de Josep.
– Entretien avec Aurel (6 min) : une interview (trop) courte mais pleine de sens. Comme toujours, on en redemande encore !
– Hommage d’un dessinateur à un autre (2 min) : Aurel dessine à l’image de Bartoli. Un beau moment enfonçant le clou mémoriel que représente le film et le grand respect de l’illustrateur contemporain à son prédécesseur.
– Série photographique (L’exil au présent) de Cyrille Bernon : bonus présenté par Aurel : reportage photographique sur la migration. Sans lien direct avec le film Josep, le bonus renforce encore s’il le fallait la thématique du film et ses répercussions sur l’être humain en tant qu’individu.
Mais cerise sur le gâteau, l’édition spéciale Fnac vous permettra d’obtenir le documentaire « Le dessin pour mémoire » de Vincent Marie en DVD. Un bonus très éclairant sur l’époque traversée par les personnages du film.
Un documentaire essentiel qu’il serait intéressant de visionner avant de voir le film pour envisager le contexte historique (trop méconnu) avec lequel Josep Bartoli a du composer. On apprécie évidemment les surimpressions de dessins de Bartoli sur les décors véritables l’ayant mené jusqu’en France tout comme le propos filmique s’enrichit des nombreuses interventions de son neveu. La plongée dans les camps de concentration français proposée par le long-métrage d’animation trouve ici des échos tragiques avec des images d’archives et des clins d’oeils aux œuvres violentes de Josep. Cette « urgence vitale » (l’art du dessin) aux yeux de Bartoli, d’après son neveu, trouve ici une mise en valeur incroyable, d’autant plus que le DVD profite d’une image de (très) bonne qualité. Difficile de se procurer l’édition vidéo du film sans chercher à se procurer cet ajout essentiel (foncez donc sur l’édition Fnac !)
Au final, les aficionados de l’animation « adulte » doivent à tout prix se procurer cette belle édition d’un film essentiel et vibrant. L’âme de Josep Bartoli résonne encore dans notre monde soumis aux mêmes problématiques…
Article rédigé par Nathan (Instagram)