Le projet de longue haleine d’Ari Folman débarque enfin en DVD et Blu-ray le 20 avril via Le Pacte. Si le long-métrage s’est avéré être le plus perfectible de son auteur après deux chefs d’œuvre d’animation (Valse avec Bachir et Le Congrès), il n’en demeure pas moins un hommage vibrant à la jeune autrice juive qui a marqué l’Histoire de l’Humanité et de la littérature. Où est Anne Frank ! paie le prix de ses choix scénaristiques mais célèbre à merveille la fougue littéraire de la jeune fille. En tentant d’éviter l’écueil de la simple adaptation vue et revue, si ce n’est larmoyante, du journal d’Anne Frank, Ari Folman emprunte des chemins originaux quitte à se perdre en de rares occasions.
Résumé : Kitty, l’amie imaginaire d’Anne Frank à qui était dédié le célèbre journal, a mystérieusement pris vie de nos jours dans la maison où s’était réfugiée Anne avec sa famille, à Amsterdam, devenue depuis un lieu emblématique recevant des visiteurs du monde entier. Munie du précieux manuscrit, qui rappelle ce qu’Anne a vécu il y a plus de 75 ans, Kitty se lance à sa recherche en compagnie de son nouvel ami Peter, qui vient en aide aux réfugiés clandestins ; elle découvre alors sidérée qu’Anne est à la fois partout et nulle part. Et dans cette Europe différente, désormais aux prises avec de nouveaux enjeux majeurs, Kitty trouvera le moyen de redonner au message d’Anne Frank sens, vie et espoir…
Dès la séquence d’introduction, on comprend qu’Ari Folman et son équipe ont décidé de métaboliser à l’écran l’amie imaginaire d’Anne, Kitty – son journal personnifié. L’encre se désolidarise du papier un soir de tempête et donne vie à la jeune fille dans le présent : l’envol des gouttes d’encre – onirique et inspiré – rappelle l’élasticité des personnages du Congrès. L’esthétique est le point fort du long-métrage et sied bien à l’histoire contée entre passé (entre 1939 et 1944) et présent. Lier l’hier et l’aujourd’hui permet au réalisateur d’évoquer la dimension profondément humaniste du parcours d’Anne Frank, tout en ironisant quelque peu sur la glorification permanente de l’héroïne à Amsterdam : Kitty découvre que la ville entière est dédiée à l’écrivaine.
Cependant, le long-métrage est une semi-réussite qui s’égare dès lors que Kitty revient au centre du métrage (et cela arrive souvent). Véritable héroïne du film (mais non de l’Histoire avec un grand H), elle sert à mettre en exergue la portée universelle du vécu de la jeune juive mais cela était-il nécessaire ? Etablissant des liens trop explicites entre la déportation des juifs et la crise migratoire de notre XXIème siècle, le scénario frôle parfois la contre-productivité. Le constat est d’autant plus amer que le scénario pare l’héroïne du présent des traits de caractère de l’héroïne du passé : la mécanique filmique devient alors répétitive et les plongées récurrentes de Kitty dans le passé reconstitué de sa créatrice en deviennent redondantes !
C’est simple : le film est fascinant lorsqu’il met en image le quotidien troublé d’Anne Frank ou bien lorsqu’il donne vie aux rêves fougueux de la jeune fille tandis qu’il ennuie poliment lors des séquences dans le présent. On s’éprend des séquences guerrières mêlant la culture d’Anne Frank face aux terrifiants SS réinventés en messagers de l’ombre alors que l’on suit avec un détachement dommageable les pérégrinations de Kitty en quête d’Anne Frank, d’où le titre.
Au final, Où est Anne Frank ! n’est pas le chef d’oeuvre escompté à cause de choix scénaristiques qui s’éloignent de la force pourtant indéfectible du journal originel. Même si l’on suit sans déplaisir la quête de Kitty dans un présent marqué par des crises indéniables, on préfère se pâmer devant la fougue graphique qui s’empare de la reconsitution de morceaux de la vie d’Anne Frank. Après tout, le savoir-faire d’Ari Folman touche encore, bien qu’il ne parvienne pas à transformer l’essai de ses deux précédents films.
EDITION VIDEO
Nous avons reçu le disque blu-ray du film, vendu dans un boîtier amaray traditionnel reprenant l’affiche de la production. Le film est distribué par Le Pacte et est évidemment proposé en DVD également.
Comme de coutume, nous avons testé l’édition sur une TV OLED 4K.
Image & son : quel joli transfert que voilà ! On (re)découvre le film à travers une image éloquente et soignée qui magnifie l’esthétique charmante proposée par l’équipe créative. Les contrastes sont appuyés et révèlent des trésors de mise en scène qui emballent la rétine : on pense notamment à l’une des plus belles scènes, dans le grenier de l’Annexe, alors qu’Anne et Peter discutent et que la lune éclaire subtilement la pièce.
Du côté du son, les menaces sont bien mises en avant par les basses (notamment lors de la présence des SS à l’écran) et l’on vit avec proximité le quotidien anxiogène de la famille juive bien que la narration s’efforce de nous procurer des parenthèses (dispensables) dans le présent aux côtés de Kitty. Vous profiterez de deux pistes en DTS-HD Master Audio 5.1 que ce soit en version originale ou en français, mais également d’une piste audio-description et de sous-titres sourds et malentendants si nécessaires. Une édition soignée sur le plan visuel et sonore qui rend honneur à la production.
Interactivités : quelques bonus (courts) composent cette galette que l’on aurait aimé plus fournie même si nous ne cachons pas notre plaisir devant ces éléments évocateurs.
- Entretien avec Ari Folman (8min) : le réalisateur libanais revient sur le choix de centrer le film sur Kitty mais également les liens entretenus avec la crise des migrants en Europe.
- Making-of (3min35) : qui n’a de making-of que le nom car il s’agit avant tout d’un résumé du film et du projet par le réalisateur même s’il évoque quelques éléments signifiants tels que son choix de ne pas montrer le coeur des camps de concentration (à raison). Il s’agit là d’un bonus trop court pour pleinement convaincre !
- Bande annonce du film
C’est donc avec plaisir que nous redécouvrons le troisième long-métrage d’animation d’un réalisateur que l’on attend toujours avec impatience de retrouver, dans une édition haute-définition charmante à laquelle il manquerait un soupçon de featurettes sur les coulisses du film pour nous rassasier pleinement. Où est Anne Frank ! a beau être une réussite modérée, il a de quoi entretenir la mémoire d’un temps et d’une écrivaine qu’il serait regrettable d’oublier.