(Sortie vidéo) Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux

Et dire que je suis passé à côté de cette belle proposition filmique en salles ! Le premier long-métrage de l’animatrice Céline Devaux est une étonnante mise en images hybride de la dépression portée par une Blanche Gardin taillée pour le rôle. Drôle et d’une humanité touchante, le film est la confirmation d’un talent de conteuse de l’intime à suivre de très près. Pourquoi pas sur un long-métrage entièrement animé ?

A l’occasion de la sortie du film en vidéo (DVD et Bluray) ce 17 janvier, je vous propose de revenir quelque peu sur le film mais aussi sur ses bonus passionnants.

Résumé : Tout le monde a toujours aimé Jeanne. Aujourd’hui, elle se déteste. Surendettée, elle doit se rendre à Lisbonne et mettre en vente l’appartement de sa mère disparue un an auparavant. À l’aéroport elle tombe sur Jean, un ancien camarade de lycée fantasque et quelque peu envahissant.

(c) Les Films du Worso

Dès l’ouverture du long-métrage dans un générique alternant prises de vue réelle et animation via des coups de pinceaux évocateurs, l’imaginaire psychologique de la protagoniste et le réel s’entremêlent. On fait ainsi la rencontre d’une activiste écologique dont les démons intérieurs sont personnifiés par un fantôme aux cheveux longs qui ironise constamment sur ce que l’héroïne vit dans le monde réel. Aux limites du cartoon, ces séquences animées surgissant sans prévenir déploient tout l’humour noir et décalé de l’humoriste Blanche Gardin qui sied si bien à l’univers de Céline Devaux qui faisait déjà de l’ironie son moteur narratif dans certains de ses précédents travaux cinématographiques. Ces surgissements comiques doivent aussi beaucoup au travail du montage : exemple parmi tant d’autres, Jeanne (le personnage incarné par l’humoriste) parle du suicide de sa mère et c’est alors que la séquence au cours de laquelle elle voulait se jeter sous un bus surgit à l’écran. Un décalage drôle et sombre à la fois qui image aussi la culpabilité de Jeanne qui n’a pas répondu à sa mère avant que celle-ci ne se suicide.

Au coeur du scénario de la cinéaste qui officie aussi à l’écriture de son film, la relation complexe entre Jeanne et sa défunte mère constitue le coeur de la dynamique narrative. Les nombreuses voix qui la hantent révèlent les impératifs imposées par sa mère et sa famille, notamment au sujet du poids, lors de la redécouverte de l’appartement maternel au coeur d’une capitale portugaise inspirante et magnifiée par le sens du cadre de la réalisatrice. Son âme d’animatrice et sa pratique du dessin l’engagent à composer ses images en prises de vue réelle avec intention, notamment dans une dernière séquence entre optimisme et prosaïsme. Hallucinations, propos sur la folie, séquences cathartiques : le long-métrage de Céline Devaux va jusqu’au bout de son sujet quitte à perdre un peu en souffle en cours de route, notamment avec le personnage incarné par Laurent Lafitte.

(c) Les Films du Worso

Tout le monde aime Jeanne est une proposition originale qui fait honneur au style déjà bien affirmé d’une réalisatrice passionnante. Incarné avec justesse par une Blanche Gardin qui trouve ici un rôle qui rappelle constamment ses propres sketchs humoristiques, Jeanne touche autant qu’elle fait sourire au fil des séquences.

EDITION VIDEO

L’éditeur vidéo Diaphana Distribution nous a mis à disposition le DVD du film pour en proposer un test à l’aune de sa sortie. Comme de coutume, nous avons visionné cette édition sur un écran OLED assorti d’une installation Dolby 5.1.

Image & son : le transfert vidéo propose une image un peu lisse néanmoins auréolée de belles restitutions des séquences animées qui sont nombreuses : il serait dommage de passer à côté du disque haute-définition si vous avez le matériel adéquat mais cette édition DVD s’en tire avec les honneurs. Lisbonne y resplendit et donne déjà un avant-goût de l’été en ces temps hivernaux légèrement moroses !

Du côté du son, deux pistes sont proposées : Dolby Audio 5.1 ou 2.0. Les séquences animées profitent bien de la spatialisation du son (les voix intérieures de l’héroïne surgissent de partout) sur la piste 5.1. Un vrai plaisir mettant également en valeur les compositions de Flavien Berger avec lequel la réalisatrice collabore à nouveau.

(c) Les Films du Worso

Interactivités : un disque riche en contenus ! On commence par trois courts-métrages de Céline Devaux, la réalisatrice du long-métrage à l’honneur sur l’édition vidéo. Il s’agit donc là d’une belle édition honorant tout l’univers de la réalisatrice, au-delà de son premier travail au long cours.

  • Vie et mort de l’illustre Gregori Efimovitch Raspoutine (10 minutes) : un film d’animation en noir et blanc auréolé d’une voix off narrative, la voix off étant l’une des composantes du style de sa créatrice, y compris dans son long-métrage. On y (re)découvre la vie de Raspoutine, un personnage qui se métamorphose et se mue au gré du récit à l’écran. On décèle aussi son travail sur la sexualité qu’elle ne cesse de poursuivre dans la suite de ses productions. Une mise en scène qui se transfigure en permanence, c’est fascinant !
  • Le repas dominical (13 minutes) : un court animé avec une majorité de couleurs blanches et noires avec quelques teintes colorées. Une fois encore, une voix off s’impose pour conter le calvaire d’un personnage dans sa famille le dimanche. Un propos universel sur les injonctions familiales lors du repas dominical, le film mettant en scène la  difficile acceptation de l’homosexualité d’un fils. Les formes et les choses se muent à l’écran pour évoquer le malaise autour de la table alors que les sentiments et les angoisses de chacun se révèlent. La mère de famille est mal à l’aise dans son corps vieilli : elle est presque jalouse de son fils. La narration donne de la place aux personnages autour de la table. « Sa famille était impitoyablement ordinaire. » souligne avec justesse la voix off assurée par Vincent Macaigne.
  • Gros chagrin (15 minutes) : avec Swann Arlaud. Un film primé à la Mostra de Venise. Rupture d’un couple en prises de vue réelle avec intervention de séquences animées. Présence déprimante d’une voix off d’Arlaud. Les prémisses de son long-métrage sont déjà là avec le surgissement de l’animation sur les images réelles. Forte présence de nudité et d’images explicites (des jambes s’emboîtent dans d’autres). La difficile rupture d’un couple : comment aller de l’avant et s’en remettre ?
  • Entretien croisé entre la réalisatrice et le compositeur du film (Flavien Berger) (15 minutes 30) : un entretien inévitablement passionnant avec un collaborateur de longue date de la réalisatrice, rencontré lors de ses études cinématographiques.
  • Présentation et création du petit fantôme (7 minutes) : on voit le scénario « à la main » de la réalisatrice et ses nombreuses illustrations mais aussi un retour sur les moments de création des séquences animées. On la voit aussi au travail sur les étapes d’animation qu’elle appelle de « l’animation transformative », un genre d’animation qu’elle réinvente depuis ses premiers films.
  • Commentaire audio assuré par la réalisatrice, la productrice (Sylvie Pialat) et la monteuse du film (Gabrielle Stemmer) : la présence de la monteuse est essentielle car le film se construit beaucoup par le montage et les propos tenus par toute l’équipe sont une mine d’informations. Un régal pour redécouvrir le film !
  • Bande-annonce du film.

Vous l’aurez compris, Tout le monde aime Jeanne m’a véritablement touché et le disque proposé par Diaphana Distribution m’a permis de pleinement plonger dans l’imaginaire construit par une cinéaste passionnante. Véritable célébration de l’art de Céline Devaux, l’édition vidéo de son premier long-métrage est un must-have pour tous ses admirateurs mais aussi pour les amateurs de 7ème art qui auraient tort de passer à côté de son univers entre singularité et universalité !

Les éditions DVD et Bluray (le disque haute-définition étant une exclusivité Fnac) sortent le 17 janvier !

Nourri aux univers animés depuis la découverte de "Kirikou et la sorcière" en 1998, Nathan porte son regard critique et analytique sur l'univers des longs-métrages. Il est rédacteur sur Focus on Animation depuis 2012 et est l'auteur d'un ouvrage somme sur la carrière de Michel Ocelot (chez Third Editions).

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