Plus de soixante-dix ans après sa parution, le conte atypique de Dino Buzzati, La Fameuse invasion de la Sicile par les ours, a enfin droit à son adaptation cinématographique. Et quelle adaptation ! En s’emparant d’une matière littéraire aussi passionnante, Lorenzo Mattotti avait fort à faire pour la respecter et lui offrir l’écrin que la narration parfois répétitive requérait. Au bout des soixante-quinze minutes que durent le film, force est de constater que le défi est relevé haut la main et que cette incursion sur grand écran des ours siciliens est un joyau graphiquement touchant. Alors que le film sort en vidéo sur notre sol français, il est temps d’en proposer une analyse plus complète pour ceux qui n’auraient pas encore eu l’occasion de le découvrir.
Résumé : Tout commence le jour où Tonio, le fils du roi des ours, est enlevé par des chasseurs dans les montagnes de Sicile… Profitant de la rigueur d’un hiver qui menace son peuple de famine, le roi décide alors d’envahir la plaine où habitent les hommes. Avec l’aide de son armée et d’un magicien, il réussit à vaincre et finit par retrouver Tonio. Mais il comprend vite que le peuple des ours n’est pas fait pour vivre au pays des hommes…
Arborant un character design très atypique, du moins lorsqu’il s’agit des ours, le premier long-métrage animé de Lorenzo Mattotti affirme sa singularité pour nous conter son récit fait de batailles et de trahisons dramatiques. Divisé en deux parties graphiquement distinctes (au minimalisme général de la première partie se succède le foisonnement de la deuxième), La Fameuse invasion des ours en Sicile en met plein les yeux avec ses palettes de couleurs cohérentes et fascinantes. Véritable ouvrage d’art, le film est aussi beau à regarder qu’à suivre grâce à une narration ciselée qui doit beaucoup à la plume de Dino Buzzati. Mais les scénaristes n’ont pas chômé pour autant en ajoutant un récit-cadre fort intéressant. Contée par un père et sa fille itinérants au cœur d’une grotte (allégorie de la caverne ?), l’invasion de la Sicile par les ours est aussi une manière de réfléchir à l’art de transmettre un récit épique.
Fort de cette mise en abyme narrative, le scénario ne repose pas seulement sur la quête identitaire des ours au contact de la civilisation humaine. Au contraire, il est également question de transmission (par le conte ou par le sens du devoir que véhicule Léonce à son fils). Comme tout récit apologique qui se respecte, le film de Primea Linea émet son lot de morales sur la vie en société et ses dérives (en ce sens, la seconde partie se révèle plus passionnante que la première, comme c’était déjà le cas dans l’œuvre originelle). Un brin répétitive, l’invasion inaugurale aurait mérité un traitement plus diversifié (au rang des coupables, une bande originale quelque peu répétitive lorsque les ours remportent des batailles) mais l’apparat graphique relève souvent l’intérêt des spectateurs de tous âges.
En effet, le film a le mérite de s’ouvrir à tous les publics sans se contenter de plaire à une génération plutôt qu’à une autre. Les enfants apprécieront grandement les nombreuses couleurs du film et les personnages aux belles personnalités du film (d’autant plus qu’une figure féminine apparaît enfin grâce au scénario du film, la gente féminine étant quasiment absente du récit de Buzzati) tandis que les plus grands seront charmés par le dynamisme satirique du récit (la séquence sur les vices des « ours modernes » vaut à elle seule la découverte du film). D’ailleurs, le scénario ne cède jamais à la facilité et propose des séquences subtilement agencées pour rendre justice aux mots du conte dont il est l’adaptation. A ce titre, le siège de la ville du Grand Duc est probablement la séquence la plus aboutie du film parce qu’elle lie habilement les arts de la guerre aux arts du cirque pour éviter l’inévitable succession de plans alternés entre le cœur de la cité et son extérieur. En résulte un brillant ballet graphique qui fait mouche !
Finalement, La Fameuse invasion des ours en Sicile est un film d’animation graphiquement soigné qui rend un très bel hommage à l’œuvre de Buzzati en lui offrant l’écrin nécessaire sans la dénaturer (après tout, l’équipe créative s’est beaucoup inspirée des illustrations faites par Buzzati lui-même). Poétique, dynamique et atypique : autant de qualificatifs qui témoignent de l’attention portée pour le bon accomplissement de ce défi risqué. Lorenzo Mattotti ne serait-il pas le professeur De Ambrosiis réenchantant le monde de sa magie ?
EDITION VIDEO
Le distributeur Pathé Films nous a fait parvenir l’édition Blu-ray du film (pour vous la procurer, il vous faudra passer par l’enseigne Fnac qui est la seule à proposer la copie haute-définition du film), copie qui a été visionnée sur un écran OLED 4K.
Image & Son : Une image resplendissante auréolée de pistes sonores puissantes ! Il n’en fallait pas moins pour rendre justice aux couleurs flamboyantes de l’univers conjointement imaginé par Buzzati et Mattotti. Même si certains plans un peu plus sombres que les autres pourraient être plus profonds, l’ensemble est véritablement magnifique pour (re)découvrir le film dans de bonnes conditions. Il est évident qu’il faut privilégier la galette haute-définition pour pleinement profiter du soin apporté aux graphismes du long-métrage.
Du côté du son, la double piste VF 5.1 et 2.0 est encodée en DTS-HD Master Audio, ainsi que la piste Audiovision 2.0.
Interactivités : Une galette plutôt soignée qui comporte quelques vidéos plongeant dans la création du film. Courtes vidéos quelques peu désorganisées qui ne manquent pas d’intérêt !
- Secrets de fabrication (9’17”) : Christophe Jankovic (producteur), Lorenzo Mattotti (réalisateur), le responsable ombres et le responsable des effets spéciaux interviennent au fil de cette dizaine de minutes pour partager quelques anecdotes créatives. Tout cela est fort intéressant mais un brin décousu (on passe du coq à l’âne) et l’on aurait tant aimé découvrir un vrai making-of dépassant les quelques minutes présentes sur le Blu-ray.
- À la conquête du conte de de Buzzati ! (Fondation Gan pour le cinéma, 5’15”) : Intervention du scénariste mais également de deux doubleurs : Leila Bekhti et Arthur Dupont pour parler du sens du film. Le propos est également renforcé par une intervention du réalisateur et quelques images de la présentation du long-métrage au festival de Cannes.
- Dans les coulisses du film : l’adaptation du livre (1’25”) et l’animation (1’41”) : dans ces deux vidéos trop courtes, Lorenzo Mattotti partage très succinctement son expérience lors de la création du film en rendant hommage au conte de Buzzati mais également aux animateurs ayant oeuvré sur le film.
En somme, cette édition vidéo de La Fameuse invasion des ours en Sicile est techniquement parfaite sur le plan de l’image et du son. Toutefois, l’ensemble demeure perfectible sur la partie interactive. Le film est tellement intéressant qu’il aurait mérité une plus grande variété de bonus.
Article rédigé par Nathan