Il y a des sorties que l’on attend avec une impatience démesurée : Le Château des singes en haute-définition est de celles-là. Plusieurs fois repoussée en ces temps complexes de pandémie mondiale, la nouvelle édition du film d’animation de Jean-François Laguionie sort enfin le 5 août prochain pour convaincre un nouveau public et ravir les plus nostalgiques des spectateurs dont nous faisons partie. On vous en dit plus sur cette remasterisation tant attendue ! (et l’on ne peut que vous conseiller de relire notre critique du second opus de cette fable philosophique : Le Voyage du prince sorti en décembre dernier sur nos écrans et disponible en DVD et Blu-ray via Universal Pictures France).
Résumé : Il y a bien longtemps le peuple des singes vivait paisiblement dans la savane lorsqu’un formidable cataclysme les sépara en deux tribus. Certains réussirent à échapper à l’inondation en grimpant aux arbres, d’autres se réfugièrent sur un rocher. Le temps a passé, avec des évolutions bien différentes pour les uns et pour les autres… Notre histoire commence chez les Woonkos, ceux qui habitent la canopée et dont la seule peur est de tomber dans « le monde d’en bas » qu’ils croient peuplé de monstres maléfiques. Le Jeune Kom, notre héros refuse de croire ces balivernes et, par provocation et imprudence, le voici projeté dans ce fameux monde, celui des Laankos et dans l’univers du Château des Singes.
Sorti en 1999, le long-métrage d’animation est une pierre fondatrice dans la carrière animée de son créateur. On pense à l’influence imposante de ce film grand public sur le plus exigeant Le Tableau sorti en 2011 rappelant sans cesse les aventures du jeune Kom s’érigeant contre l’obscurantisme de tous horizons. Opposant deux mondes foncièrement différents (les singes sauvages vivant au-dessus des arbres et les singes civilisés résidant à terre dans un château luxuriant), Le Château des singes constitue une fable éloquente sur l’intolérance et les idées préconçues, ces dernières opposant constamment les deux clans de primates au cœur de l’histoire. Le singe faisant office d’instituteur au-dessus des cimes ne refuse-t-il pas qu’on lui pose des questions ? Un comble pour celui qui assure la fonction d’apprenant. Comme les héros des ouvrages voltairiens, le regard naïf d’un étranger met à mal les institutions de la société.
A l’exact opposé de l’être figé dans l’immobilisme vivant dans les hauteurs (il ne bouge pas d’un poil entre la séquence d’introduction et les dernières images du film), Kom, le singe aventurier fait preuve d’une grande soif de savoir. Mettant le doigt sur toutes les futilités de la vie civilisée au château du Prince (le fait de se cacher les oreilles, la propension aux discours grandiloquents vides de sens, l’absence de tutoiement, etc.), il détourne les acquis des singes qui se croient supérieurs pour mieux les ridiculiser : « On doit être supérieurs car on vit très haut dans les arbres » affirme-t-il avec vérité au détour d’une conversation. Portant un regard sur la société humaine par le biais de l’anthropomorphisme animale, le film de Jean-François Laguionie divertit autant qu’il invite à réfléchir. Renforçant le propos humaniste du film, la relation entre le roi et Kom le sauvage atteint son paroxysme lors d’une discussion forestière pleine de sens. Peu surprenant alors que ces discussions entre étrangers soient au cœur de la seconde aventure du roi sorti en 2019 dans les salles obscures.
Partageant l’amour des inventions et de l’innovation (on pense à la machine volante rappelant les inventions de Leonardo De Vinci), ces deux personnages si différents et pourtant si semblables se tolèrent et se donnent le droit d’apprendre de l’autre au lieu de se rejeter à cause de leurs différences. L’obscurantisme entravant la paix est évidemment métabolisée par le Chambellan du roi, porté par la voix magistrale de Jean Piat à l’office sur le Frollo des studios Disney. Bien que le schéma actanciel général ne soit pas le plus original qui soit (car les « méchants » sont rapidement cernés), le scénario de cette ôde à la tolérance et au foisonnement créatif se suit avec grand plaisir et traverse les générations sans rougir.
Au final, Le Château des singes n’a pas perdu de son charme. Même si l’animation 2D accuse parfois ses années, le propos est toujours aussi actuel et les personnages attachants du film (notamment Kom et le roi) sauront plaire à un large public contemporain. Vivement conseillé à tous ceux qui ne le connaissent pas encore autant qu’à ceux qui l’auraient découvert lors de sa sortie en salles ou lors de ses innombrables diffusions télévisées, Le Château des singes est le rendez-vous incontournable de cet été pour tous les adeptes des éditions physiques.
EDITION VIDEO
Le distributeur Citel Video nous a fait parvenir l’édition Blu-ray du film (qui comprend le remaster du film en DVD également), copie qui a été visionnée sur un écran OLED 4K. Le blu-ray possède un fourreau parachevant le soin apporté à l’édition à l’heure où les éditeurs physiques ont tant besoin de se démarquer pour convaincre les spectateurs.
Image & son : premier constat, l’étalonnage général semble bien pâle, d’autant plus que la copie d’origine comprend son lot de flous dûs aux choix de réalisation (sur les arrières-plans). A titre d’exemple, lorsque Kom se déplace au-dessus du labyrinthe au cœur du château civilisé, ses mouvements sont flous et manquent de précision. Fort heureusement, la pâleur de l’image s’enrichit rapidement de couleurs plus intéressantes et chatoyantes dès lors que le jeune Kom descend de ses arbres pour rejoindre le château des singes. Exemple parmi tant d’autres, le bal donné au sein du château est assurément plus beau à voir que les premières séquences au-dessus des arbres.
De plus, le grain est perceptible mais il n’est pas envahissant (il confère assurément une ambiance surannée qui sied bien au film). Le remaster est donc intéressant à défaut d’être aussi incroyable qu’il aurait pu être. Mais tous les éditeurs vidéos n’ont pas un budget aussi important que les studios hollywoodiens pour ciseler une réédition parfaite sur tous les plans… Redonner de l’éclat à un joyau du passé est une entreprise à part entière.
Du côté du son, une piste LPCM 2.0 (format sans compression de données) est proposée en français (avec le doublage d’origine). Il n’en fallait pas moins pour profiter du film et de sa partition musicale atypique signée par Alexandre Desplat (que les studios hollywoodiens s’arrachent désormais). La piste est intelligente parce qu’elle laisse de la place à la musique tout en ne noyant pas les dialogues. Du bon travail qui ne fait pas rêver sur le papier (nous sommes loin des propositions multi-pistes des grosses productions de ces dernières années) mais qui se révèle pertinent lors du visionnage du film.
Interactivités : un seul et unique bonus compose cette galette haute-définition mais quel bonus ! Il s’agit d’un entretien passionnant d’une vingtaine de minutes avec le réalisateur en haute-définition. L’occasion, notamment, de mieux cerner ses processus créatifs par le biais d’anecdotes ou de cellulos originaux. L’entretien n’est pas une vulgaire featurette promotionnelle visant à promouvoir l’efficacité évidente du film, il est un vrai plaisir qui se déguste patiemment par tous ceux qui auront apprécié le film (et ils sont/seront nombreux).
En somme, Le Château des singes nous revient sous son plus beau jour, même si l’image pourrait se révéler plus éclatante tant les progrès dans l’art de remasteriser les œuvres passées peut se révéler incroyables parfois. Pourtant, force est de constater qu’il s’agit de la meilleure copie disponible à ce jour pour (re)découvrir ce si beau film aux nombreuses qualités. Un must-have pour tous les fans de l’imaginaire de Laguionie (et les non-initiés!)