On ne présente plus la fable animalière de George Orwell tant elle a fait couler l’encre des journalistes et des analystes à sa sortie, sous ses airs faussement enfantins de chroniques animales. Véritable classique de la littérature britannique, le roman est d’ailleurs proposé au sein des programmes scolaires. Grand fut alors le défi d’en réaliser une adaptation animée en 1954 lorsque John Halas et Joy Batchelor décidèrent de s’en charger. Empli de noirceur, le récit apologique du romancier anglais semblait inadaptable, d’autant plus que le cinéma d’animation laisse, en général, à penser (à tort) que le public ciblé est juvénile. En rendant fidèlement honneur à la matière d’origine, le film d’animation La Ferme des animaux embrasse pleinement son propos politique, animaliste et pessimiste pour un résultat au charme certain.
Résumé : Lassés des mauvais traitements, les animaux de la ferme de M. Jones décident de prendre le pouvoir et instaurent une nouvelle société fondée sur un principe d’égalité entre tous les animaux. Mais quelques uns des “quatre pattes” décident que certains sont plus égaux que d’autres…
Rares sont les films à l’apparat si naïf prenant à bras le corps un propos aussi sombre et anxiogène. Malgré les années, La Ferme des animaux fait toujours son effet et renforce avec férocité le propos animaliste du roman d’origine. Mettant des images sur les mots du récit – à l’image des scènes pathétiques ou horrifiques durant le discours de Sage l’ancien – le long-métrage anglais explicite la violence de l’exploitation animale comme métaphore de l’exploitation ouvrière. Usant avec abondance de surimpressions évocatrices et des parallèles terribles, la réalisation touche en plein cœur sans pour autant exacerber une violence qui ne serait pas à mettre devant tous les yeux. Lorsque des actes atroces sont commis, ils sont relégués au hors-champ tandis que le cadre cinématographique préfère souligner le malheur des uns en l’opposant au bonheur des autres. On pense alors au pauvre âne Benjamin trimant avec sa charrette alors que des cochons privilégiés se déplacent en limousine en arrière-plan : on ne pourrait mieux résumer l’insidieuse machinerie stalinienne.
Pour contrebalancer l’évidente austérité du propos filmique, sans laquelle la dénonciation politique au cœur de l’anthropomorphisme animalier ne serait rien, on peut compter sur une animation un brin surannée (après tout, le film a plus de soixante ans) heureusement magnifiée par des décors peints qui flattent toujours autant la rétine. Avec symbolisme, l’imagerie du film accompagne les péripéties du scénario avec brio. Le bûcher des effets personnels du fermier ejecté de sa propriété par les animaux est l’acmée graphique du long-métrage, entre symboles et flashs stroboscopiques.
Evidemment, on pourrait regretter l’étonnante rapidité des évènements composant le fil narratif (moins de soixante dix minutes pour adapter un roman si dense, c’est finalement bien peu) contraignant l’équipe créative à prendre des raccourcis dommageables (à l’image de l’éviction de Boule de Neige, plus progressive dans le roman de George Orwell) mais c’est là un bien petit défaut face à une telle réussite. Sans jamais se détourner des brutalités inhérentes au récit apologique (à l’image des combats opposant les animaux aux fermiers), le film emploie le registre pathétique à bon escient pour impliquer ses spectateurs (et les horrifier : est-il nécessaire de revenir sur le triste sort du cheval Malabar intensifié par l’usage du son ?) Alors que les animaux anti-humains s’humanisent peu à peu dans leurs rêves aux côtés d’une vache qui tricote ou d’un âne qui prend un bain, les rouages d’un retour en arrière idéologique par des tyrans différents se mettent en place.
Soixante-six ans après sa sortie en salles, le film de John Halas et Joy Batchelor a toujours sa place dans le cœur des cinéphiles. Vif objet filmique teinté de nostalgie, La Ferme des animaux est nécesseraiement éprouvant et saura (re)conquérir un large public (à partir de 10 ans) grâce à la belle édition concotée par Malavida.
EDITION VIDEO
L’éditeur vidéo (Malavida) nous a fait parvenir l’édition digipack du film, préparée spécialement pour cette ressortie tant attendue. La copie a été visionnée sur un écran OLED 4K, comme de coutume pour nos tests.
On trouve alors le DVD resmasterisée du film dans un digipack soigné comprenant un livret pédagogique en anglais fort adapté au contenu apologique du film, rapprochant explicitement le combat de ces animaux fermiers aux ravages du communisme au cœur de l’ex-URSS. On peut, à titre d’exemple, y trouver un « qui est qui ? » établissant des liens entre les animaux du film et les figures politiques dénoncées par le récit. Un must-have pour comprendre pleinement la portée satirique du film (à condition de maîtriser la langue de Shakespeare).
Image & son : qui dit édition DVD dit forcément couleurs moins profondes qu’une édition haute-définition mais preuve est de constater que l’image proposée par l’éditeur est particulièrement soignée et fidèle aux cellulos d’origine. Les couleurs sont fidèlement reproduites (il n’y a qu’à voir l’éclat du chemisier rouge du fermier Jones) et les décors picturaux du film resplendissent avant d’être supplantés par les teintes plus sombres des heures glauques vécues par les animaux de la ferme.
Du côté du son, rien de grandiloquent puisque la galette vous propose trois pistes. Une piste en version originale sous-titrée pour découvrir le film tel qu’il a été pensé ainsi qu’une piste en version française. Toutes deux sont en 2.0. Enfin, une piste agrémentée d’audio-commentaires en français complète ce panel. Dans l’ensemble, les pistes sont efficaces et rendent justice aux musiques et dialogues du film malgré les années.
Interactivités : une édition riche en bonus pour mettre en valeur le savoir-faire à l’oeuvre sur le film.
- John Halas se souvient (12min) : plongée dans la vie et la carrière du réalisateur.
- Ode to joy (4min) : featurette sur la réalisatrice du film (trop méconnue)
- Making-of Stay Tooned (29min) : vraie plongée fascinante dans la création du film aux côtés de ses créateurs. Les problèmes du show et son succès (notamment dans son prolongement en BD)
- Interview de John Halas (13min) : entretien bref mais passionnant au sujet de l’adaptation du roman.
- Story board original : un bonus technique mais bienvenue pour envisager le travail préparatoire du film.
- Esquisses commentées (3min) : croquis de personnages et esquisses.
- Diaporama commenté (5min) : retour pédagogique et documentaire à base de photographies sur le film et sa production.
Concrètement, on ne peut que saluer cette édition riche en bonus intéressants. C’est de plus en plus rare mais c’est un véritable bonheur qui confirme le caractère essentiel des éditions physiques offrant pléthore de vidéos prolongeant la découverte d’un film. Même si l’on peut regretter l’absence d’une édition haute-définition pour rendre complètement honneur au travail graphique de l’équipe créative, on ne peut que vous conseiller de vous procurer cette ressortie si vous appréciez le film. Vous ne serez pas déçus !
Article rédigé par Nathan